Le roman débute par une écriture pauvre en vocabulaire. La déclinaison du verbe faire ou voir tourne à la franche rigolade.
Henry Bauchau réussit pourtant à m'entrainer dans son histoire grâce à sa sincère humanité.
Humanité à propos du compte rendu de la manifestation des femmes belges, opposées aux départs de leurs hommes, pour le travail obligatoire instauré par les Allemands lors de la dernière guerre. Une forte émotion dans ce récit, gonflé par la peur de ces êtres aux mains nues, face à la barbarie armée. Cette vérité qui me prend aux tripes avec une clarté transmise à travers le sentiment de panique, l'impuissance devant une bête noire, casquée, menaçante, tout pouvoir de destruction à portée de fusil.
Humanité à propos de sa belle-fille, Paule, ingénieure commerciale basée à Vancouver, il écrit d'elle :
“elle n'est pas tournée vers l'être, mais vers l'avoir”.
Il la suit main dans la main, accompagnant sa lente descente aux enfers, attirée par le cancer, ce mangeur d'hommes.
Sincère humanité à propos de son copain de jeunesse, Stéphane l'alpiniste bucheron, dont l'amitié enveloppe le roman d'une ambiance bénéfique aux douceurs poétiques disséminées entre les moments de tristesse.
Résistant belge, Stéphane l'homme des bois, accompli en silence un travail de nettoyage à la base, pour abattre méthodique les hauts fûts ronds.
Shadow le SS, accompli un travail de sape pour faucher les hommes, et agit sur les esprits pour détruire les prisonniers.
Shadow est une prison à lui tout seul. Il sait enfermer les résistants dans le cartel de leurs pensées, sceller les barreaux des ouvertures condamnées, enchainer les âmes à leur bourreau persécuteur.
Shadow pénètre l'esprit des forts en gueule, jusqu'à prévoir leur désir d'évasion.
Le narrateur retrouve Shadows emprisonné à son tour, trente-six ans après la guerre. Ses entretiens à l'hôpital chevauchent les visites avec sa belle fille, elle-même enfermée dans le carcan de sa maladie.
Le narrateur (n'est-il pas Henry Bouchau lui-même ?) poursuit son enquête sur la mort de son ami Stéphane. Le chasseur devient proie. Un travail de fin psychologue donne à la victime le syndrome de Stockholm, où l'opressé tombe en amour de son opresseur.
L'histoire relate aussi l'emprise de ces agresseurs (maladie ou êtres humains) sur leurs victimes, “un vrai héros qui s'amuse seul ”, qui avait, comme le SS, besoin d'une discipline sévère en appliquant ce principe :
“choisir ce qu'on préfère à ce qu'on ne préfère pas, c'est une maladie de l'esprit”.
Dépassé le stade de la forme, ce livre est étonnant.
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