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[La Reine de l'arnaque | Chicago May]
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Posté: Jeu 25 Sep 2025 16:35
MessageSujet du message: [La Reine de l'arnaque | Chicago May]
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J'aime les biographies des truands, encore plus si ce sont des femmes. Les autobiographies de criminels, comme le rappelle la Préface, constituent depuis le XIXe siècle, « sinon un genre, au moins une tradition » souvent se plaçant comme un sous-ensemble des récits d'aventurier.es parus dans la presse hebdomadaire française jusque dans l'entre-deux-guerres du XXe siècle, et tous peu ou prou influencés par le style d'Eugène Sue dans _Les Mystères de Paris_ (1842) et, pour les anglophones, par celui de Dickens. Chicago May, née en Irlande probablement en 1871 (et non en 1876 comme elle le prétendait), fugueuse précoce aux États-Unis où elle décéda prématurément, peut-être d'une maladie urinaire ou gynécologique, en 1929 peu après avoir terminé la rédaction de ses Mémoires ci-édités, connaissait bien Charles Dickens et avait une solide culture littéraire acquise en autodidacte, notamment pour avoir été une lectrice compulsive durant son emprisonnement de dix ans en Angleterre, durant la Grande Guerre. Devenue un personnage médiatique de tout premier plan au tournant du siècle, membre de gangs opérant non seulement en Amérique du Nord mais aussi à Londres, en France, au Brésil et au Caire, figure reconnue et imitée de la pègre internationale mais aussi courtisane d'au moins un membre haut placé de l'aristocratie britannique, emprisonnée pour le dynamitage du coffre d'une banque en France et pour incitation au meurtre d'un autre bandit de renommée internationale, son ancien amant, qu'elle avait contribué à faire fuir de Cayenne – un crime passionnel haut en couleur à l'époque ! -, elle fut encouragée notamment par des hommes de loi et des policiers à se procurer une source de revenus honnêtes et corrects par l'écriture. Cette entreprise allait probablement être couronnée de succès et peut-être aurait-elle même fait de l'ancienne voleuse une réformatrice sociale, aux idées originales, se situant entre un certain socialisme inavouée et l'anarchisme individualiste...
L'on comprend que le style de cette autobiographie, qui accompagne et nourrit plusieurs ouvrages biographiques planant sur la légende du personnage jusqu'à nos jours, ressent d'influences journalistiques outre que des modèles littéraires cités. Les trente-cinq chapitres dont se compose ce récit assez chronologique – malgré quelques analepses, prolepses et répétions – sont caractérisés par l'accumulation d'anecdotes, par une prose drôle et truculente, qui doit surprendre sans jamais lasser plus qu'inciter à la réflexion.
En comparaison avec notre expérience contemporaine de la justice – surtout en milieu européen continental – notre réflexion est cependant saisie à la fois par le parcours de l'héroïne et par l'arbitraire de ses inculpations et des peines purgées. Chicago May, dans la plus grande partie de sa carrière, passerait aujourd'hui pour une petite frappe, qui aurait fait des séjours fréquents mais brefs dans les centres de détention sans trop de scandale. Elle racolait des hommes dans la rue ou dans les bars, les entraînait dans l'un de ses « pièges à pigeons » et les détroussait de leur porte-feuille à l'aide d'un complice alors qu'ils étaient déshabillés, ou bien elle les faisait chanter à l'aide de photographies ou de lettres compromettantes. Les victimes préférant la plupart du temps s'abstenir de porter plainte, elle jouissait ainsi d'une quasi impunité. Les vols en bijouterie, quelques escroqueries, et le coup à la banque française furent des crimes de bien plus grande envergure, naturellement, mais elle n'y était qu'une complice mineure parmi des malfaiteurs de sexe masculin. Il semblerait que sa notoriété se fut établie d'une part par le nombre de ses crimes restés impunis, sur différents théâtres, grâce à une grande rapidité de déplacement, et d'autre part par son association à des malfrats célèbres, comme compagne et complice (voire épouse), ou avec des hommes riches et puissants, comme maîtresse ou maître-chanteuse. Les arrestations, la conduite des procès, les peines encourues paraissent assez aléatoires, de même que l'établissement et la transmission du casier judiciaire entre juridictions, compte tenu également de l'extrême facilité à dissimuler son identité ou à en changer ; les évasions de prison et les réductions de peine notamment par la corruption des agents paraissent avoir été monnaie courante.
Par contre l'emprisonnement britannique de dix longues années, aggravé par les pénuries dues au conflit mondial, occupe une place fondamentale dans le récit, surtout à cause du sentiment d'iniquité que l'autrice transmet aux lecteurs. Outre le scandale médiatique du crime passionnel entre bandits, qui finalement s'était résumé à quelques blessures au pied par arme à feu et à une inculpation en instigation difficile à prouver, cette longue et pénible expérience carcérale de la narratrice semble avoir été surtout une vengeance d’État pour tous ses crimes passés ainsi que pour sa réputation de femme séditieuse contre l'ordre social, à la fois patriarcal et hiérarchique. En effet, un certain moralisme puritain était remis en cause par cette femme à la fois sur le plan sexuel – les victimes étant considérées aussi répréhensibles que l'arnaqueuse – que sur le plan du statut – l'hybris consistant dans l'introduction de la demi-mondaine qu'elle demeurait dans les cercles sociaux les plus élitistes, par le pouvoir de son argent « mal acquis »...
De telles considérations – que l'on pourrait classer comme de la sociologie du droit, de la justice et des normes sociales implicites – sont parfois suggérées en filigrane de l'autobiographie, mais ne sont pas abordées directement. En particulier, on ne saura jamais si la protagoniste, hormis son appât du gain et son ambition à garder une autonomie la plus ample possible, questionnait fondamentalement sa condition féminine, notamment dans son rapport aux différents conjoints-amants-associés, si elle était en somme féministe ou simplement opportuniste. En filant la métaphore des études et de l'école-lycée-université du crime, du vol comme d'une profession quelconque dotée de sa propre expertise, elle apparaît parfois comme une femme d'esprit, plus fine et plus douée que la plupart des gens qui l'entourent – « pigeons », complices et policiers-avocats-magistrats confondus – parfois comme une révoltée contre la société prête à en découdre, tantôt au contraire comme la victime d'un rôle de genre assigné qui ne fait que réagir contre la série interminable des hommes qui « essayent d'abuser » d'elle, financièrement et sexuellement.
La légèreté du style imposé finit par rompre le pacte lectoral de la vérité, on sent bien qu'elle ment ne serait-ce que par omission, ses sentiments sont escamotés par jeu ou par convention d'écriture. Un siècle plus tard, ça ne passe plus. Peut-être cependant que sa drôlerie était son moyen de se protéger... va savoir !




Cit. :


1. Incipit : « J'ai passé environ quinze ans de ma vie derrière les barreaux, un sacré bout de temps mais moins d'un tiers de mon âge. Dix de ces années me furent données injustement, pour quelque chose dont je n'étais pas coupable. J'ai mérité les autres, selon les règles du jeu. En général, j'ai été chanceuse, ou disons plutôt que j'ai été assez maline pour échapper au châtiment qu'auraient dû me valoir la grande majorité de mes crimes contre des particuliers ou la société. Je n'ai purgé de longues peines qu'à deux reprises.
Si je n'avais pas été punie par la loi, je penserais quand même, comme je le crois aujourd'hui, que le crime ne paie pas. […] Au début, les bénéfices du crime sont substantiels, sans commune mesure avec le travail exigé. Mais l'importance du butin vous dispose à le dilapider. L'argent mal acquis fond en un rien de temps.
[…]
Je ne sais pas pour les autres, mais je suis convaincue que la prison ne m'a pas redressée. Ma seule réaction, surtout lorsque la sentence me semblait injuste, était de vouloir me venger de la société. La prison n'a fait que retarder le moment où j'ai décidé d'arrêter. Telle une femme d'affaires, je n'ai pas voulu abandonner la partie tant que je me sentais apte à la poursuivre et que mes concurrents menaçaient mes intérêts. Le crime ne m'a jamais paru un péché.
Si je veux me réformer maintenant, c'est uniquement par calcul. Je n'ai jamais éprouvé de scrupules. Je n'ai nourri de regrets, sauf quand j'ai été prise. Je ne me désole pas vraiment d'avoir été une criminelle. La raison en est peut-être que je ne me suis jamais attaquée à un individu qui n'avait pas d'abord essayé d'abuser de moi. En tout cas, je m'en suis toujours persuadée. » (pp. 31-32)

2. « Le premier jour, la toute première leçon que me donna mon professeur principal fut de me méfier des mouchards. Il m'expliqua, ce que j'ai pu vérifier par la suite, que les criminels avaient peu à craindre de la police et de ses détectives s'ils ne jouaient pas de malchance, mais gare aux indicateurs ! Toutes ces histoires d'indices, de déductions, etc. sont de la foutaise. En fait, beaucoup de criminels se trahissent en parlant trop, en se comportant comme des idiots ou en laissant des traces que n'importe qui pourrait remonter. Le pourcentage d'échec dans les écoles du crime est bien plus élevé que dans les autres établissements scolaires car la plupart de leurs élèves sont grossiers et n'ont guère l'occasion de se cultiver. » (pp. 55-56)

3. « Après que j'eus récupéré du choc de mon passage dans les prisons françaises et me fus refait une santé financière, mes amis voulurent que je leur organise un beau banquet pour les remercier de m'avoir sortie de taule et soutenue à mon retour. J'y pensais aussi avant qu'ils ne me mettent l'idée en tête. Un comité d'action fut formé. Quant à moi, j'espérais que les réjouissances se limiteraient à bien boire et bien manger. Mais le comité vota à l'unanimité en faveur d'une fête où les drogues seraient les bienvenues. Je ne pouvais que me plier à la volonté de mes amis, même si je désapprouvais leur choix.
[…]
Je m'étais rendue dans Limehouse Causeway afin de recruter un "chef" réputé qui nous préparerait les pipes d'opium. Puis j'avais commandé de la morphine, de l'héroïne et de la cocaïne en grande quantité. Soyez sûrs que je fis aussi appel à un type de chef plus traditionnel, pour que l'on ne manquât pas de mets et de boissons délicieux. […] Puis le comité et moi dressâmes la liste de tous les truands, joueurs, etc. auxquels nous pûmes songer.
Nous ne rassemblâmes peut-être pas une foule entière, mais il dut bien y avoir une centaine d'invités. Aucun minable ! Seulement des hommes et des femmes qui n'auraient pas souffert de la comparaison avec des spécimens de la haute société, que ce fût en termes d'apparence physique, d'élégance vestimentaire ou de bonnes manières.
[…]
Neuf truands sur dix sont des toxicomanes. La plupart sniffent, fument ou se piquent. Pourquoi, en tant que corporation, agissent-ils ainsi ? Je l'ignore. La raison en est peut-être qu'ils sont sous pression durant leur travail et passent trop de temps à ne rien faire entre deux coups. Et les gens honnêtes sont alors trop occupés pour leur tenir compagnie. » (pp. 173-174)

4. « "Ne ruez pas dans les brancards, m'avertit mon avocat, ou vous le regretterez." Je suivis si bien son conseil que non seulement je ne me plaignis pas, mais m'abstins même de quémander.
Si j'avais été prise au piège, c'était parce que j'avais offensé l'aristocratie anglaise. J'en avais pleinement conscience. Pas parce que j'accompagnais Charlie Smith lorsqu'il avait tiré sur un type rendu dingue par la jalousie, Guerin, afin de nous sauver la vie. Si je n'avais pas commis l'erreur d'envoyer des exemplaires du _Rio News_ et du _Correio da Manhã_ à Skinner, dans lesquels il était question de mon succès brésilien au bras de Sidney Gore, Guerin n'aurait pas laissé bouillir sa colère assez longtemps pour s'en prendre au pauvre Charlie et à moi. Cependant, ce qui avait été fait était fait et il ne servait à rien de le regretter. J'ai payé la note. Charlie a réglé la sienne, qui était beaucoup plus salée. » (pp. 211-212)

5. « Le sommet de la cruauté était l’œil qui ne dormait jamais. Il n'y a rien de pire, autant que je puisse en juger. Au milieu du panneau central de la porte de chaque cellule était peint un œil au complet, avec sa pupille, son iris, ses cils, son sourcil, etc. Il n'était pas seulement peint, il était sculpté, pour ajouter au réalisme de l'ensemble. De l'extérieur, l'espion pouvait déplacer un disque amovible et placer son propre œil devant le trou. Peu importait où vous vous trouviez à l'intérieur, debout, assise ou couchée, ce damné œil semblait vous suivre partout.
Un dimanche, l'aumônier tint un sermon sur le verset de la Genèse : "Tu es le Dieu qui me voit". Il eut le bon goût et la délicatesse de comparer les œilletons de nos cellules à l’œil qui voit tout du Tout-Puissant, afin que nous autres, ignorantes, puissions comprendre où il voulait en venir.
La pauvre comtesse Markievicz me raconta que son "œil" faillit la rendre folle. Durant sa première semaine en prison, après avoir été condamnée pour sa participation à l'insurrection irlandaise à Dublin, elle passa ses nuits à arpenter se cellule de long en large afin d'échapper à cette chose démoniaque. » (p. 222)

6. «Pourquoi me suis-je arrêtée sur Annie ? C'était mon amie et je l'admirais. Elle était belle et intelligente, ce que l'on ne porta jamais à son crédit. Moi qui lui étais inférieure sur ces deux plans, je fus toujours un sujet de curiosité pour la presse comme pour la police. La pauvre Annie se dévalua en se comportant comme une chic fille. Je me suis toujours placée au-dessus du truand moyen, même quand j'étais sans le sou. Comme moi, Annie a payé pour ses actions. Nous n'étions pas pires que les autres voleurs. Elle fut seulement plus malchanceuse que la plupart d'entre nous.
Parmi les centaines de voleuses que j'ai connues, il n'y en eut qu'une dont le parcours fut couronné de succès. Je fais allusion à Sophie Lyons. Elle mourut après avoir été rouée de coups, mais elle était devenue riche. Toutes les autres ont fini dans la pauvreté. Certaines, qui sont toujours en vie, ou l'étaient encore la dernière fois que j'ai eu de leurs nouvelles, gagneraient bien leur vie. Cependant, je mettrais ma tête à couper qu'elles sont dans la même précarité que l'immense majorité des voleuses, à moins qu'elles se soient décidées à suivre le droit chemin. L'argent coule comme de l'eau entre les doigts des truands, c'est plus fort qu'eux. » (pp. 256-257)

7. « May (je n'ai jamais su son nom de famille) était une fille intelligente qui faisait la manche dans l'East Side à New York. Ce qu'elle ignorait dans ce domaine ne mérite pas d'être connu. Elle pouvait prendre toutes les apparences, et ne s'en privait pas. La police avait toujours un temps ou un jour de retard sur elle. Si elle n'avait pas un bébé dans les bras, elle était la blême et pitoyable épouse d'un estropié, se tenant consciencieusement à ses côtés dans la maladie et le chagrin, édifiant des passants trop paresseux pour enquêter sur une possible imposture et trop honteux pour paraître pingres. Elle se faisait parfois passer pour une infirme. Il lui arrivait aussi de n'être qu'aveugle. Sa voix valait de l'or – si douce, modeste et plaintive. » (p. 309)

8. Chap. conclusif : « Ce métier d'auteure a des côtés amusants, intéressants, et parfois aussi très sérieux. La plupart des gens seraient étonnés de voir mon courrier. Mes vieux amis de la police m'écrivent des lettres d'encouragement. Les chrétiens se sentent appelés à m'envoyer les platitudes. Les réformateurs insistent pour attirer mon attention sur leurs théories préférées. Les truands me sermonnent ou me rendent grâce. Les mendiants m'importunent. Les flagorneurs me noient sous leurs éloges. Les riches – et d'autres – s'adressent à moi avec condescendance.
Si jamais je fais fortune, ou que j'en approche, je compte aider les criminels à ma manière. Offrir un bon boulot à l'un d'eux est très bien au niveau individuel, mais améliorer la situation sociale afin que tous ceux qui veulent travailler pour un salaire décent puissent trouver un emploi est encore mieux.
[…]
En général, il n'existe pas vraiment d'esprit malade parmi les criminels. Le voleur moyen sort gagner sa vie, tout comme le type honnête. Il y a des hommes d'affaires idiots, des dégénérés très talentueux, des écrivains et des acteurs intelligents qui dépendent de la drogue. On croise le même genre d'individus dans le milieu. On a coutume de traiter les criminels comme des malades. Tout comme en médecine, le vrai remède est de supprimer la cause de la maladie. […]
Il y a une autre façon de considérer la classe des criminels. Une fois qu'un homme ou une femme a goûté à la chasse et rapporte du gibier, il ou elle continuera à chasser, tout comme le chasseur. Chasser le tigre est à la fois dangereux et glorieux. D'un autre côté, ils sont bien peu nombreux à traquer le tigre pour l'amour du sport. Moi-même, je n'ai jamais volé pour le plaisir de voler. Je n'ai pas été créée ainsi. Je voulais l'argent ou la vengeance, plus d'argent que je ne pouvais en gagner honnêtement ou plus d'occasions de punir la bête qui nous blessait, mes compagnons et moi.
La violence engendre la violence. Chaque fois qu'une nouvelle punition ou un nouveau moyen de dissuasion est inventé, une nouvelle contre-punition vient en compenser les effets. » (pp. 339-340)

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