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[La Diagonale de la rage | Michel Kokoreff]
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Posté: Hier, à 7:09
MessageSujet du message: [La Diagonale de la rage | Michel Kokoreff]
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Au début des années 1970, les mobilisations contre les crimes racistes non condamnés qui ponctuent toujours « l'histoire politique invisible des banlieues et des immigrations », dont le point culminant est la Marche pour l'égalité de 1983... En relation avec celles-ci, les émeutes urbaines, de la banlieue lyonnaise au milieu des années 1970 jusqu'à Clichy-sous-Bois en 2005... D'autre part, un « processus de repolitisation par le bas », à partir des grèves de 1995, en passant par le mouvement anti-CPE, celui contre les réformes du Code du Travail et du régime des retraites, culminant dans l'expérience absolument inédite et d'une durée inégalée représentée par l'irruption des Gilets jaunes... Encore à part, les mouvements d'occupation, de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, à Nuit debout et aux occupations universitaires de 2018 (Tolbiac, Paris 8, etc.)... Ci nommées et listées, les séquences principales d'une « histoire de la contestation sociale en France des années 1970 à nos jours ».
Si l'on cherche cependant un livre d'Histoire, et c'était sans doute mon cas, à moi qui n'aurais pas été dérangé par une chronologie des événements, on sera probablement déçu. En effet, voici un essai de sociologie politique de la contestation qui, au-delà du regroupement de mon cru que je viens de proposer, décompose ces mouvements afin d'exposer principalement des notions abstraites (par ex. « grammaires contestataires », « recompositions discursives », « destitution », « microphysique du pouvoir »), entre ruptures et continuités, qui se retrouvent dans ces événements et les expliquent. En vérité, l'exposé historique se limite aux trois premiers chap. (cf. infra) ce qui comporte ensuite un grand nombre de répétitions, lors de sauts entre les différentes séquences. Si les références bibliographiques, notamment à des écrits théoriques de philosophie politique sont très nombreuses et intéressantes – malheureusement pas synthétisées dans une bibliographie en fin d'ouvrage – je me suis par moments demandé, de plus en plus souvent au fil des pages, si l'auteur n'avait pas hésité entre une illustration des théories de Foucault, de Guattari, de Rancière, d'Agamben par les exemples factuels français et l'explication des événements par lesdites théories... J'ai supposé même, en lisant l'importante Annexe méthodologique, que la propre façon de se rassurer de la juste prise de distance du chercheur par rapport à son militantisme et à sa participation aux manifestations n'avait pas consisté à « noyer le poisson » dans le discours savant et dans l'abstraction théorétique. Il est évidement qu'il s'agit là de sujets sensibles, que la contestation est radicale et la « radicalité » est elle-même un étendard de discrédit agité par le pouvoir ; néanmoins on ne peut que constater la différence significative de ton entre le corps du texte et les très inspirants verbatims des « observations » de terrain. La question qui se pose serait donc plutôt celle des modalités de rédaction d'une historiographie engagée et critique du contemporain. Ou bien, peut-être, le problème c'est aussi la transposition de la « rage » en un discours posé et scientifique...



Table [avec appel des cit.]

Prologue : « Sous les pavés, la rage »

Introduction : Une nouvelle ère de la contestation

Un triple processus de recomposition politique [cit. 1]

Chap Ier : Les quartiers populaires comme laboratoire politique [cit. 2]

1971-1973 : une vague de crimes racistes et policiers
Foucault, des prisons à la Goutte d'Or
Les années 1980 : la rage des lascars
La Marche pour l'égalité, un tournant [cit. 3]
L'expérience du MIB
L'émeute
La socialisation politique dans les cités
Déficit démocratique et stratégie politique [cit. 4]

Chap. 2 : Du mouvement social à son débordement

Un panorama des mouvements sociaux après 68
Les grèves de 1995
Le mouvement anti-CPE comme contre-émeute
La coupure de 2016
La diagonale inachevée des Nuits debout
Mutations du maintien de l'ordre
D'un printemps, l'autre
De manif en manif
Zones à défendre, guerre à l'utopie ! [cit. 5]

Chap 3 : L'irruption des Gilets jaunes

Un événement inédit
Chronologie
Qui sont les Gilets jaunes ?
Une répression sans précédent
Police partout, syndicats nulle part
Comparutions immédiates
Du « Grand débat » aux « coordination des coordinations »
Nasse mobile

Chap 4 : Une mutation des grammaires contestataires

Métamorphose des manifs [cit. 6]
L'intelligence collective en actes
L'insurrection par les tags
Occuper les places
Habiter les facs
La circulation des registres d'action

Chap 5 : Recompositions discursives

Les trois strates d'une formation discursive
Imaginaire social et réaffiliation historique
Microphysique du pouvoir et révolution moléculaire
La pensée insurrectionnaliste [cit. 7]
Destitution ou illusion ?
Viralité et police des réseaux

Chap. 6 : Gouverner l'ingouvernable [cit. 8]

Qu'est-ce que le « néolibéralisme autoritaire » ?
Dérive de l’État de droit
La communication, nerf de la guerre
Un champ politique et syndical en miettes
À l'ombre des majorités silencieuses
Fonctionnements des minorités actives
Alternatives et bifurcations

Épilogue : Déconfiner la rage

Annexe méthodologique : Enquêter sur la contestation



Cit. :


1. « De ce processus de recomposition générale et de l'intrication de ces trois dimensions, la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, sans l'idéaliser, est un exemple idéal typique. Cette lutte dans le bocage nantais montre un renouvellement des façons de vivre en marge et constitue un foyer d'expérimentations locales portées par une quête d'autonomie politique. Elle a été le lieu d'une intense production de discours et de savoirs. Elle ne saurait se résumer à un enjeu local comme l'a montré la mobilisation internationale contre le projet de construction d'un aéroport et, plus généralement contre les grands projets d'aménagements dits "inutiles". De plus, la ZAD fait partie de tout un imaginaire social diffus – sorte de "4e dimension" des recompositions à l’œuvre. Par cet exemple, il s'agit d'éviter un double écueil qui consiste tantôt à procéder à une sociologie ou à une anthropologie planétaire, "hors-sol", tantôt à juxtaposer les études thématiques et les monographies locales pour découper le réel en rondelles. » (p. 25)

2. « […] Je voudrais commencer cette généalogie de la rage en montrant comment les quartiers populaires ont constitué un 'laboratoire politique'. Par là, je n'entends pas seulement le fait que ces territoires socialement disqualifiés ont été le lieu et l'enjeu de nouvelles formes de domination sociale et raciale expérimentées d'abord dans les colonies puis dans ces périphéries avant de se généraliser à l'ensemble de la société, mais aussi qu'ils ont vu émerger des formes d'action et de mobilisation collectives inédites que des militants de cité se sont plus ou moins transmises de génération en génération. Des années 1970 aux années 2000, cette séquence constitue un moment clé de la 'diagonale de la rage' ; dans sa négativité, par les morts innombrables de jeunes qui la parcourent, les crimes racistes et policiers, leur invisibilisation ainsi que celle du "mouvement des banlieues" qui les dénonce, les rapports de déviance réciproque entre les groupes mobilisés et les institutions ; dans sa positivité, par l'irruption de ces thèmes dans le champ des luttes et leur montée en visibilité, la demande d'égalité de ces "jeunes immigrés" socialisés en France.
Loin de s'abîmer dans la violence nihiliste, la rage sera constitutive de la Marche pour l'égalité, "événement fondateur" s'il en est, moins par son caractère 'moral' qu' 'antagonique'. Si les émeutes urbaines défrayèrent la chronique des "années-banlieues", elles n'en furent qu'un bref moment, bien que récurrent, à côté d'autres modes de socialisation politique dans les cités. En ce sens, il s'agit d'une contribution à cette "histoire politique invisible des immigrations postcoloniales" de ces "oubliés de l'histoire" sacrifiés sur "l'autel de l'universalisme abstrait" et de son modèle assimilationniste autour de la tension entre égalité de droit et inégalité de fait, citoyenneté et sous-citoyenneté, demande de respect et expérience du mépris. » (pp. 28-29)

3. « Si la Marche a marqué la société française, c'est un peu comme si elle prenait subitement conscience que les "travailleurs immigrés" – qu'elle ne voulait par voir et sommait d'être invisibles, de "raser les murs" – avaient des enfants nés et socialisés en France qui récusaient "l'assimilation", synonyme de colonisation et de coupure avec leurs racines, et demandaient l'égalité des droits, et non pas l'intégration. Un slogan résume bien cette aspiration : "La France c'est comme une mobylette, pour qu'elle avance, elle a besoin de mélange !" Or le message a provoqué un halo d'interprétations, beaucoup de contresens. Si la Marche marque la constitution d'un anti-racisme de type universaliste, elle est perçue comme une demande de reconnaissance de particularismes culturels. Ainsi la presse de gauche, à commencer par _Libération_, en pleine mitterrandolâtrie post-gauchiste de son patron, labellise cette lutte contre le racisme et pour l'égalité en "marche des beurs" et "beurs en marche" ; ce faisant, elle 'ethnicise' la question de l'égalité des droits. D'une mobilisation pour l'égalité, on passe au "mouvement beur". Toute l'ambivalence à l'égard du racisme apparaît là. » (p. 56)

4. « D'une part, on voit comment la prise de distance avec les formations politiques et le souci de ne pas être récupéré par ses soutiens ont été constitutifs du devenir des acteurs se traduisant par un désir d'indépendance et d'auto-organisation, des méthodes nouvelles, la définition d'un 'nous' spécifique. D'autre part, ces acteurs se sont confrontés non au patronat ou aux capitalistes mais à l’État policier, raciste, postcolonial, dans une demande d'égalité et de justice pour tous qui n'a pas été entendue par les partis de gauche et d'extrême gauche comme de droite. D'un côté donc, une quête d'autonomie ; de l'autre, les dimensions politiques de la violence et la manière de sortir de celle-ci. » (p. 80)

5. « Au cours de ce printemps 2018, on a vu fleurir partout sur les murs de la contestation le slogan "ZAD partout !" Sans le prendre au pied de la lettre, on pourrait y voir une unité d'analogie : de même que Nuit debout a constitué une 'contre-scène' du mouvement social de 2016, de même la ZAD a joué cette fonction, à Notre-Dame-des-Landes, dès 2012, et plus largement en 2018. De zone de non-droit et refuge absolu, ce territoire du bocage nantais est devenu dans l'imaginaire politique contemporain l'épicentre des luttes autonomes et écologiques, un espace de rencontres et de transmission de savoirs et de savoir-faire de générations différentes, d'anciens et de jeunes, de paysans, d'écologistes et d'étudiants, de révolutionnaires de tous horizons, qui se sont raconté leurs luttes, leurs expériences, les uns au temps du Larzac, les autres du CPE ou de 2016. Tel est, dans les imperfections de ces cohabitations mêmes, "un des enjeux de l'expérimentation politique qui se joue sur la ZAD". » (pp. 125-126)

6. « De façon plus transversale, les manifs sont devenues un espace d'intense socialité – a fortiori lorsqu'elles sont quotidiennes, hebdomadaires, s'étalent sur des mois. À force de se croiser et de se parler, des liens se nouent et se renforcent. […] Par exemple, lors de la préparation de la journée "La Fête à Macron" du 5 mai 2018, j'ai pu suivre lors d'un rassemblement une discrète négociation entre les militants de France insoumise et des membres du black bloc par l'intermédiaire de syndicalistes de Solidaires et de quelques autres, afin qu'il n'y ait pas de provocations inutiles. Cette socialité est renforcée par la multiplication des occasions de rencontres (réunions, rassemblements, séminaires, apéros...)
Résumons-nous. Une police qui fait la guerre, des cortèges de tête et black blocs offensifs, des 'street medics' en urgence, l'engagement des corps, des 'lives' et images en séries, des groupes de musique vivante pour mettre de l'ambiance, une sociabilité mouvementiste : voilà ce qui a changé dans la physionomie des manifs. En conséquence, ce sont les conduites des participants, leurs régimes d'engagement qui ont changé. Il ne s'agit plus de défiler derrière une banderole selon un itinéraire ritualisé face à la présence et à l'intervention des forces de l'ordre, dès lors que les risques d'être blessés et mutilés sont décuplés et qu'il y a quatre ou cinq cortèges différents, voire qu'il n'y a plus d'itinéraires ni même d'horaires. » (pp. 181-182)

7. « Quelle est l'influence de cette littérature [insurrectionnaliste] ? On s'est beaucoup inquiété de la diffusion de ces écrits sur la jeunesse dite 'radicale'. Manuel Valls, alors Premier ministre, vise ces cibles au perchoir de l'Assemblée nationale, en juin 2016, en plein mouvement social : "Je veux dire à tous ces casseurs […], ces black blocs, ces amis de Julien Coupat, toutes ces organisations qui, au fond, n'aiment pas la démocratie, la contestent, qu'ils trouveront la plus grande détermination de la police et de la justice." La presse n'est pas en reste dans ses innombrables "enquêtes sur l'ultra-gauche" dont il s'agit de débusquer la main derrière la violence des black blocs et des "casseurs", après l'avoir recherchée à Tarnac. La part des fantasmes n'est évidemment pas innocente et soutient l'instrumentalisation politique de cette figure de l'ennemi intérieur.
Divers indicateurs permettent d'apprécier l'influence politique du Comité invisible. Dans la sphère militante à l'échelle internationale, on en retrouve la trace dans les réseaux militants d'inspiration anarchiste en Grèce ou en Espagne, des groupes issus du post-opéraïsme italien autour de publications croisées et d'autres initiatives, des collectifs comme le collectif Queer Little Lies ou la revue _Endnotes_, influente dans les milieux radicaux anglophones, les mouvements d'occupation sur différents campus universitaires en Californie en 2009-2010. Néanmoins, ces circulations transnationales n'ont rien de nouveau et s'apparentent à d'autres échanges internationaux – à commencer par l'Internationale Situationniste ou le "phénomène hippie". Mais justement l'ambiance n'est plus la même : depuis 2001, l'heure est au terrorisme. » (p. 236)

8. « Si l'on reprend les analyses précédentes, le pouvoir ne s'exerce pas par la répression d’État – et son continuum coercitif justice-prison-délinquance – mais par des technologies sociales et politiques douces ; non plus seulement l'exploitation mais l'addiction ; non "vouloir qu'on fasse", mais "faire qu'on veuille". À l'inverse, parler d'un "retour de la répression", c'est oublier qu'elle n'a jamais disparu, des bidonvilles du FLN aux cités HLM en passant par les mouvements sociaux ; c'est ne pas voir les transformations de son exercice. Ce à quoi l'on a assisté ces dernières années, c'est à un couplage inédit entre société de souveraineté (avec son monarque, la personnalisation du pouvoir), société disciplinaire (avec ses institutions et sa policiarisation) et société de contrôle (avec ses dispositifs de communication et de surveillance). Le gouvernement par la peur a été institué par la production de discours et de pratiques sécuritaires restituant la souveraineté d'un État fort dans l'amalgame de la délinquance, du crime et du terrorisme. Son champ d'action a été élargi à la lutte en faisant de la communication le nerf de la guerre et des médias les vecteurs d'opérations de disqualification (désinformer, mentir, diviser, fabriquer des leurres). L'ère Macron n'aura jamais mieux illustré les propos d'Hannah Arendt sur ce que la philosophe appelait un "régime de post-vérité", où les informations les plus contradictoires circulent, et dont les 'fake news' ne sont qu'un symptôme. Sans considérer pour autant ce mode de gouvernement comme pleinement efficient, il importe de prendre en compte les effets de contexte, tant politique et syndical que sociologiques, susceptibles d'expliquer le statu quo actuel. » (p. 252)

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