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[Le père dans tous ses états | Laurence Croix]
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Posté: Mar 28 Mar 2023 17:22
MessageSujet du message: [Le père dans tous ses états | Laurence Croix]
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Cet essai, éminemment psychanalytique (freudien, lacanien) – à la seule exception très considérable de son chap. 6 qui est juridico-historique – explore de façon théorique la fonction paternelle. Répondant sans doute à l'angoisse suscitée par les nouvelles formes familiales (à moins qu'elle le soit, me semble-t-il, par l'émancipation féminine visant à l'égalité de genre ?) concernant les supposées « carences », « défaillances » voire par « l'absence » du père, son dessein est de démontrer que cette fonction est composée d'éléments disparates qui remontent aux plus anciennes origines de notre culture – sans parler des autres cultures, qui ne sont pas du tout mentionnées. Ainsi, subsistent des « imagos » de pères mythiques issus de « notre » mythologie grecque, qui représentent des divinités masculines sous forme de « pères violents, meurtriers, sanguinaires, incestueux » (chap. 1). Se superpose à ces imagos la réflexion sur la paternité divine dans les trois religions monothéistes, particulièrement développée dans le christianisme à cause de la Trinité (chap. 2). Suit l'immense travail théorique de Freud (chap. 3), lequel offre des figures du Père des définitions multiples (cf. cit. 1), dont il convient de retenir surtout celle mythique du Père de la horde primitive, et celle clinique de l'Œdipe qui, dans sa complexité, donnera lieu à la distinction lacanienne entre père réel, symbolique et imaginaire et in fine à son concept de Nom-du-Père. Celui-ci constitue l'objet exclusif de chap. suivant, qui se termine, par un jeu de mot que l'autrice veut typiquement lacanien par la section intitulée : « Les non-dupes errent » ; cette section peut être considérée comme une anticipation sur les problématiques contemporaines qui seront traitées dans le chap. 7. Entre-temps, le chap. 5 comporte un approfondissement sur la spécificité de la relation père-fille (l'Œdipe féminin) qui se termine par la question encore plus spécifique du regard du père (et vice-versa), et le chap. 6 (par E. Zucker-Rouvillois) sur l'évolution de la figure juridique du père, à partir du droit romain (cf. cit. 2) jusqu'à aujourd'hui, qui présente plusieurs « révolutions » très intéressantes du point de vue notamment de la réfutation des jérémiades sur le « déclin du père »... Ayant ainsi posé tous ces éléments de complexité, le chap. 7 peut s'atteler à la situation contemporaine, qui est abordée de manière si originale – politique, et philosophique sur le remplacement du Nom-du-Père par la science, psychanalytique encore (avec une dialectique entre auteurs) et enfin sociologique, que je considère que l'intérêt du livre va crescendo, et que je reproduis ci-dessous, dans la Table, l'intitulé de l'intégralité des sections pour lui seul. Enfin, je retiens des Conclusions, qui représentent principalement une synthèse des idées développées dans l'ensemble du livre, une ultime ouverture sur le langage, conçu comme le « tiers » se posant « Au-delà du père et de la mère » (cf. cit. 5), et non donc comme un successeur du Nom-du-Père comme on pourrait le comprendre à une lecture trop hâtive : une idée qui me plaît énormément et qui met l'eau à la bouche pour un livre entier que l'autrice, psychanalyste spécialisée dans les questions de genre et de parentalité, écrira peut-être un jour...



Table [abrégée avec appel des cit.]

« Qu'est-ce qu'un Père ? »

Chap. 1. : Les pères mythiques

Chap. 2. : Au Père éternel

Chap. 3. : Le père des complexes familiaux [cit. 1]

Chap. 4. : Les noms du père

Chap. 5 : Fille et père : une relation passionnelle

Chap. 6. : Les pères limites : droits et devoirs [cit. 2]

Chap. 7. : Une société sans père ?
- Les "petits pères des peuples"
- « Nous, fils d'Eichmann » (Anders, 1999)
- Les sciences en place de Nom-du-Père
- La mort du parricide
- Du père au gène [cit. 3]
- Une mutation sans précédent (J.-P. Lebrun)
- La peur d'être père
- Horreur ou déni de l'origine
- Faut-il un homme pour qu'il y ait un père ?
- Quand l'Autre est le social
- La perfection comme idéal ou comme norme sociale [cit. 4]

Conclusions [cit. 5]



Cit. :


1. « Dans ce court survol de la théorie freudienne, les figures de père sont donc multiples : Père de la Horde (dit Imaginaire ou Réel en fonction des uns ou des autres, la qualification freudienne ayant quant à elle le mérite de contenir le poids du mythe), père de la réalité, père des fantasmes, père du monothéisme (de la Loi), père du christianisme (d'amour). Nous rencontrerons aussi les "petits pères des peuples" du _Malaise dans la civilisation_ (1929) ou de _L'avenir d'une illusion_ (1927), ou encore les figures de chef dans l'église ou l'armée, deux formes de collectifs évoqués par Freud dans sa _Psychologie des masses et analyse du moi_.
L'observation de ces différentes figures de pères, qui ne sont pas superposables ou substituables les unes aux autres, ne sert à Freud qu'à un seul objectif : cerner ce que Lacan appellera la fonction paternelle et sa métaphore, le Nom-du-Père.
[…]
Toute la démarche freudienne est en effet une tentative de rendre compte que le Père, en interdisant de jouir de la mère, va permettre à l'enfant de construire ses propres signifiants, d'accéder au langage et de s'inscrire dans l'histoire. Telle est sa fonction, qui sera métaphorisée par Jacques Lacan dans le concept de Nom-du-Père. » (pp. 64-65)

2. « Dans la civilisation romaine, la catégorie de la personne ne correspond en rien à l'unité de la personne physique. L'unité personnelle vient du patrimoine, de ce qui doit être transmis. Dans ce contexte, le mariage désigne le vrai père et fonde la filiation légitime par la présomption de paternité. La filiation peut être également établie fictivement par un acte juridique. Le mariage n'est pas fondé sur la copulation et le fondement juridique de la paternité réside dans la volonté d'un homme de se constituer père d'un enfant qu'il désignera comme son "héritier sien".
Volonté d'un homme dans le cas de la filiation légitime […] Volonté d'un homme, également, dans le cas de l'adoption, où le rapport de l'adoption à la filiation non adoptive est plutôt celui de la vraisemblance au vrai. [...] l'adopté doit pouvoir être considéré comme s'il était né de l'adoptant et de son épouse légitime, l'adoptant doit avoir un âge qui n'exclut pas l'apparence qu'il a engendré son fils adoptif. […] En réalité, on découvre que l'adoptant peut n'avoir pas ou n'avoir jamais eu d'épouse – c'est le cas de l'eunuque –, il peut adopter et adroger un petit-fils né d'un fils qui n'existe pas. » (pp. 93-94)

3. « Dans cette société sans père spirituel, le gène vient prendre le relais. L'identification de la fonction paternelle est en ce sens au moins réduite au biologique, à l'anatomie.
Pourtant, le père qui adopte l'enfant en serait-il moins père ? Et celui pour qui la femme a eu recours à une semence extérieure par voie médicalisée ou non est-il promu à une sous-catégorie de père ?
Le problème se pose de façon accrue dans les politiques migratoires européennes, où plusieurs pays tentent d'imposer l'expertise génétique dans le cadre du regroupement familial. Comment faire quand dans d'autres cultures plus symboliques (traditionnelles) est père celui qui est reconnu en tant que tel par une ou des femmes, des clans, des traditions ? Leur refuser de faire venir l'enfant est d'autant plus dramatique que non seulement cela les destitue de leur place et fonction, mais prive ces enfants de père. La violence de la loi qui se fonde sur un postulat génétique, dans ce cas de figure comme dans bien d'autres, crée des ravages familiaux et sociaux. » (p. 114)

4. « Jacques Lacan expliquait ce phénomène quand le social devient une scène psychique, car ce qui n'est plus censuré, interdit, donc refoulé, se joue à l'extérieur de soi. Comment se jouerait une telle mutation de la structuration psychique d'un sujet ? L'auteur dégage de cette complexité le moment où le Nom-du-Père est remplacé par la fonction de "nommer à" par la mère. L'enfant reste alors réduit à un statut de fonction, de projet, de "plus-de-jouir" (d'objet de jouissance de sa mère), en tant que destin, puisque plus aucun 'Père, c'est-à-dire autre' ne viendrait interdire cette relation.
La parole de l'autre permet, même dans le cas de psychose adulte, de la coupure. Encore faut-il qu'il y ait de l'Autre incarné. La déréliction symbolique et imaginaire qui peut frapper un sujet ou un collectif dévoile les difficultés communes de cette incarnation, dans un système où la science voudrait occuper la 'fonction' du Nom-du-Père, mais aussi, comme la crise financière récente l'a démontré, "quand tout est possible"...
La parole d'un analyste, d'un éducateur suffit pourtant à remettre ces enfants dans le langage et à les sortir de leur excitation pulsionnelle plus ou moins constante. Or, quelle est la réponse de l'adulte qui se généralise aujourd'hui ? C'est une réponse purement médicale. Devons-nous rappeler que 20% des enfants américains (comme en Israël d'ailleurs) sont mis sous Ritaline ou autres drogues semblables (lithium), pour ces troubles "kinésiques" ou "bipolaires" ?
Qu'il s'agisse de violence, d'errance, d'hyperactivisme, de consommation de stupéfiants et d'autres drogues légales, de boulimie-anorexie, d'"addictions sexuelles", de fétichisme, nous remarquerons qu'ils signalent systématiquement un dedans et un dehors, une délimitation fondamentale pour certains en faillite. Les sujets paraissent se prévenir d'un manque de manque. » (pp. 130-131)

5. « En attendant que chacun, chacune puisse trouver un jour sa place dans les méandres de la sexualité, le langage, spécificité exclusive de l'humanité, où s'inscrit véritablement la castration puisqu'il est irréversiblement coupé du monde des objets, du réel, de la béance, introduit systématiquement un tiers entre la mère et l'enfant. Le langage depuis toujours et dans toutes les cultures (patriarcales ou non) engendre et maintient la fonction qui préoccupe tant les parents et éducateurs.
Rester humain, garantir la Loi à l'enfant, c'est préserver le langage comme ultime 'mode' d'introduire une coupure avec le réel, le passionnel et le pulsionnel propre au féminin (et non aux femmes). Autrement dit, humains nous le sommes grâce à une "fonction de la représentation" qui continue de s'exercer même si l'idolâtrie du père et le patriarcat sont en voie d'extinction et même si les papas sont absents ou pas comme on l'espérait. » (p. 143)

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