Le son lumineux des vêpres.
Le brasier de Notre-Dame de Paris est éclipsé par la Clarté Notre-Dame à Taulignan. Les moniales dominicaines du monastère drômois vivent au rythme des offices. Quand sonnent les vêpres, à la fin de l’après-midi du 19 septembre 2012, le poète d’à côté, habitant Grignan, près de Taulignan, est touché et réveillé par le tintement de la modeste cloche dans le ciel atone comme une lumière sonore biffant l’air gris. Philippe Jaccottet (1925-2021) travaillera ensuite sur le motif, la modeste illumination première qui brille en écho à sa quête existentielle et à son travail poétique. La plaquette d’une quarantaine de pages parue en 2021 en édition posthume est un condensé de sa démarche et de sa manière de procéder, un legs à ses aficionados esseulés. Revenir, préciser, s’effacer, litanie du poète bâtissant son œuvre avec des fétus et des clartés : « tous ces signes dont la singularité est d’être toujours infimes, fragiles, à peine saisissables, évasifs mais non douteux, très intenses au contraire… ». A cette beauté de surface, le poète lui impose la noirceur des profondeurs, des « lieux d’ignominie » où l’homme torture son semblable comme ceux dissimulés sous les ruines de Palmyre où le poète s’est extasié, ignorant alors les puantes ténèbres. Quels mots peuvent alors faire paravent à la mort ? La sienne approche. Il le sait. Il la sent. Pourtant il persiste et signe, trace encore des arabesques dans le vide pour circonscrire des parcelles de joie. Son post-scriptum du 7 juin 2020 irrigue par la force contenue, le doute sous-jacent et le perpétuel inachèvement : « En longeant un verger…, en y pénétrant, en le traversant, je retrouvais la même émotion. Celle d’une construction ouverte qui contiendrait l’infini ».
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