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[Avicenne l'andalouse | Marie Rose Moro (et al.)]
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apo



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Posté: Jeu 12 Déc 2019 20:53
MessageSujet du message: [Avicenne l'andalouse | Marie Rose Moro (et al.)]
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Dans ce bel essai hors normes, Avicenne n'est pas le philosophe persan du X-XIe s. mais l'hôpital universitaire de l'Assistance Publique de Paris, sis à Bobigny et inauguré en 1935 ; et « l'andalouse » n'est pas une danseuse de flamenco, mais un état d'esprit, que l'auteure associe à celui qu'elle imagine prédominant dans l'Andalousie arabe multiculturelle et pluri-confessionnelle, et qui anime la consultation de psychiatrie transculturelle dans le service de psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent créée par Tobie Nathan au sein de cet établissement. Ceci est donc un essai d'ethnopsychiatrie et d'ethnopsychanalyse par l'une de ses praticiennes. Il se développe de manière très originale.
Une première partie s'intitule précisément « L'esprit d'Avicenne ». Après un rappel de l'histoire et des spécificités de l'hôpital, une première approche est abordée de la consultation transculturelle. Cependant, étant donné que le livre remonte à 2004, de longues pages sont ensuite consacrées à une actualité (de l'époque – mais seulement de l'époque ?) : la « question » du voile dans l'espace public français ; la loi relative est sévèrement critiquée, avec des arguments qui sont devenus depuis assez partagés par tous ceux qui s'y opposent. Cette partie se termine par une métaphore insolite du transculturalisme mis en parallèle avec la cuisine.
Suit un long récit autobiographique signé par le père de l'auteure et intitulé « Une vie de sacrifice et de peine, celle d'un homme d'honneur ». Isidoro Moro Gomez est un migrant que nous dirions aujourd'hui « économique » venu de Castille et installé dans les Ardennes, ayant exercé en France d'abord le métier de bûcheron. La singularité de ce récit est qu'il ne se limite pas à une biographie de la migration, mais il comporte la narration autant de l'avant que de l'après le voyage.
La troisième partie : « Ceux qui soignent : fragments de rencontres » regroupe dix présentations autobiographiques des thérapeutes de l'équipe, à commencer par l'auteure ; chacun, dans l'évocation de son parcours, suggère ce qui l'a conduit vers l'exercice de la psychothérapie transculturelle : pour la grande majorité, il s'agit d'une expérience migratoire personnelle ou familiale, mais l'auteure insiste bien que la migration n'est ni une condition nécessaire ni suffisante.
La quatrième partie : « Ceux qui consultent : fragments de rencontres » retrace, par l'auteure ou un co-thérapeute principal, le parcours thérapeutique de huit patients et de leur famille proche.
Suit une cinquième partie, plus courte mais très dense et sans doute la plus informative scientifiquement, intitulée : « Comment ? Le dispositif transculturel d'Avicenne ». Elle se compose de trois chapitres : « Un dispositif métissé et cosmopolite », « L'efficacité thérapeutique » et « Expérimenter la différence ». Même pour ceux qui connaissent par Tobie Nathan le fonctionnement de cette prise en charge, cet exposé apporte un aperçu général très clair et des notions ponctuelles d'un grand intérêt, par ex. par rapport à la fonction des langues et du traducteur dans la thérapie, ainsi que concernant le concept de « contre-transfert culturel », qui enrichit considérablement l'amplitude de la découverte fondamentale de la psychanalyse.
Les deux dernières parties, qui sont plutôt chacun un chapitre, sont plus fragmentaires : l'un s'intitule « Ailleurs », qui évoque très brièvement deux expériences que l'auteure a eu l'opportunité de conduire à l'étranger lors d'une brève rencontre ; l'autre s'intitule « De la clinique à la société », qui représente une sorte d'ouverture sociologique et philosophique de la pratique transculturelle à l'égard de la société tout entière, sous forme de « Un lien social à réinventer » et de « nouvelles formes de vivre ensemble » à « inventer » : des paroles ou un appel très évocateurs mais très peu développés ici, alors qu'ils le sont dans une abondante littérature spécialisée.
Dans ce développement très surprenant mais composé de parties toutes essentielles, toutes aussi précieuses l'une que l'autre, mon attention a toujours été affûtée, mes sens en éveil. Mais je déplore le nombre très important de dysorthographies et autres erreurs non corrigées. Je trouve simplement honteux qu'un ouvrage d'une si grande valeur ait été publié en l'état, sans prévoir le moindre budget pour un correcteur. (Je pense à l'étoile manquante dans ma notation et surtout à plusieurs proches à qui j'aurais aimé offrir ce livre pour Noël mais que ce défaut rebuterait).


Cit. :


« Les rigidifications politiques avant tout, mais pas seulement, elles sont aussi psychologiques, culturelles, économiques et sociales, prennent souvent des formes religieuses, car la religion se prête volontiers à cela par ses textes, ses interprétations, ses prétentions morales et éthiques. La religion est plus prompte à se raidir que la culture, plus mobile, dynamique, constamment retravaillée par les êtres humains qui la portent, la font voyager et se transformer au contact d'autres sociétés, d'autres cultures, d'autres logiques. Ces formes religieuses, prétendues originelles alors que l'origine n'est que métissages et impuretés, viennent prendre la place de tout ce qui manque, des doutes, des trous d'identité, des béances de transmission, des démissions parentales et sociétales. » (p. 28)

« Je suis passionnée par ces théories de vie que chacun d'entre nous cherche à mettre en forme et qui est le centre de notre subjectivité et de notre créativité. Je la cherche chez mes patients aussi, comme objet essentiel de toute rencontre thérapeutique. » (p. 100)

« Ainsi, Mathieu [enfant métisse de 11 ans] dessinera un robot, invincible, avec une cuirasse en damier noir et blanc. Le robot était le plus fort parce qu'il a pris la force des Noirs et celle des Blancs, me dira-t-il, c'est une fiction précise-t-il (c'est son mot) mais ce qui est vrai c'est que pour être fort, il faut prendre ce qui est bien dans les deux mondes, dit-il, et il précise, c'est comme vous ici, en s'adressant aux thérapeutes, certains sont blancs dehors et noirs sous la peau et d'autres sont noirs dehors et blancs sous la peau, c'est pour cela que vous pouvez soigner mon père. » (pp. 168-169)

« En plus de ces fonctions – modalité culturelle de l'échange et du soin, co-construction d'un sens culturel, étayage du patient –, le groupe permet aussi une matérialisation de l'altérité (chacun des thérapeutes étant d'origine culturelle différente) et une transformation de cette altérité en levier thérapeutique […] c'est-à-dire de support de l'élaboration psychique. Le métissage des hommes et des femmes, des théories, des manières de faire est un facteur implicite du dispositif. » (p. 245)

« Les travaux actuels en ethnopsychanalyse montrent la bonne adaptation de cette technique à la clinique des migrants : elle obtient des résultats thérapeutiques profonds et durables. L'existence d'un dispositif thérapeutique complexe qui s'adapte à chaque situation, le décentrage culturel qui nous contraint à suspendre un diagnostic souvent trop prompt lorsqu'il est fait à partir de nos catégories diagnostiques occidentales – confusion entre du matériel culturel comme l'envoûtement et un délire, non perception d'un affect mélancolique sous un discours culturel centré par la sorcellerie... – et l'utilisation de l'outil complémentariste condui[sen]t à une multiplicité des hypothèses étiologiques, ce qui est sans doute un facteur efficient de ce dispositif. » (p. 252)

« [Dans un sous-chapitre intitulé : « Quand proposer une approche transculturelle ? »]
[…] on peut proposer une telle psychothérapie aux patients dont la symptomatologie apparaît comme une conséquence directe de la migration à court, moyen ou long terme ; aux patients qui présentent une symptomatologie codée culturellement […] ; aux patients, enfin, qui demandent explicitement un décentrage culturel : ils évoquent la nécessité de repasser par leur langue, de s'occuper des "choses du pays"... Ces indications concernent aussi bien les premières que les secondes générations, pourvu qu'un des paramètres cités existe.
[…]
On propose un dispositif transculturel aux patients qui errent d'un système occidental de soins (médecins, psychiatres, psychothérapeutes...) à un système traditionnel (consultation de guérisseurs au pays et ici) sans pouvoir faire de liens entre ces lieux et sans qu'aucun ne déclenche un véritable travail d'élaboration et de transformation de la situation. » (pp. 255-256)

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