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[The Ghost in the Machine | Arthur Koestler]
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Posté: Lun 21 Oct 2019 13:10
MessageSujet du message: [The Ghost in the Machine | Arthur Koestler]
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Je crois n'avoir jamais lu, parmi toutes mes lectures universitaires, professionnelles, de recherche ou de loisir, d'opus aussi ambitieux. De surcroît, cet essai – dont le titre français : « Le Cheval dans la locomotive » me paraît très insatisfaisant, voire prêtant à confusion grave – constitue le dernier tome d'un triptyque dont le premier, The Sleepwalkers, était consacré à l'épistémologie de la découverte scientifique et le deuxième, The Art of Creation, à l'inspiration artistique, soit aux deux pinacles des réalisations humaines. Ce « Spectre dans la Machine », par contre, est présenté par l'éditeur et sans doute répondait au départ à l'intention de se pencher sur le côté obscur du génie humain, sur sa folie destructrice et auto-destructrice, l'homme étant, à l'exception du rat et d'un nombre infime de familles de fourmis, le seul animal pratiquant la lutte intra-spécifique. Mais, en réalité, cette problématique, qui découle avec une rigueur impeccable d'une démonstration extrêmement complexe et touffue sur les 15 chapitres précédents, n'est traitée que dans la troisième partie de l'ouvrage ; en particulier, elle n'est énoncée, dans la façon très suggestive suivante, qu'en ouverture de l'ante-pénultième chapitre :

« Let me recapitulate : when one contemplates the streak of insanity running through human history, it appears highly probable that homo sapiens is a biological freak, the result of some remarkable mistake in its evolutionary process. The ancient doctrine of original sin, variants of which occur independently in the mythologies of diverse cultures, could be a reflection of man's awareness of his own inadequacy, of the intuitive hunch that somewhere along the line of his ascent something has gone wrong. » (p. 267)

Par conséquent, ce livre doit être considéré comme l'exposé d'une théorie générale de l'ontologie du vivant, synthèse philosophique et scientifique qui entend s'appliquer aussi bien au niveau de la cellule et de l'organisme, qu'à celui de l'individu et de la société, que – par analogie – à celui du phonème et de la langue, se voulant valable autant pour le psychisme individuel et la psychologie de la masse que pour l'évolution cérébrale, aussi bien dans sa phylogenèse (évolution de l'espèce) que dans son ontogenèse (développement du corps). Pour tenter de décider si cette théorie générale, qui m'a fait penser, en beaucoup plus intéressant, lisible et argumenté, à celle de Ludwig von Bertalanffy (utilisée notamment en biologie, en sociologie théorique et en cybernétique), est à la hauteur de ses colossales ambitions, il faut la situer honnêtement au moment de son élaboration, en 1966 : le monde académique anglo-saxon était dominé par le behaviourisme, dont tout le monde s'accorde aujourd'hui à le qualifier de réductionniste ; le darwinisme, en particulier l'évolutionnisme stochastique, n'avait pas encore été corroboré par l'interprétation déterminante de Richard Dawkins – on dirait que l'Horloger aveugle, jusques et y compris dans son titre, est une réponse au présent essai ; et enfin la psychanalyse de Freud n'avait pas encore été soumise à cette formidable exégèse, entre autres par Lacan en France, qui l'a renforcée grandement depuis. Autre emprise de son temps sur l'ouvrage : les inquiétudes démographiques et la panique de la course aux armements nucléaires en pleine Guerre froide, qui aujourd'hui ont perdu de leur actualité. De nos jours, où la figure même et le statut de l'intellectuel ont changé au point que je ne saurais penser à un équivalent d'Arthur Koestler pour ses contemporains, où le taux de publication scientifique, comme ce livre l'anticipait déjà, est incomparable à toute époque de l'histoire de l'humanité, où la prétention non seulement encyclopédiste mais aussi de spécialisation absolue dans quelque domaine que ce soit, aussi restreint soit-il, est douteuse, l'ambition de provoquer, seul, un changement de paradigme est complètement obsolète. Peut-être ce triptyque, et ce livre-ci en particulier, à l'instar du grand'œuvre d'Edgar Morin, en est-il l'une des dernière tentatives.

La théorie s'articule en trois parties : « L'ordre », « Le devenir », « Le désordre ».
L'ordre. Tout système se fonde sur une « hiérarchie ouverte » ou à régression infinie. Toute partie de cette hiérarchie, dite un « holon », possède deux faces, tel Janus (« Janus Principle ») : l'une dirigée vers le niveau inférieur, l'autre vers le supérieur. Le terme de holon « peut s'appliquer à tout sous-ensemble biologique et social stable, montrant un comportement gouverné par des règles et/ou une constance structurale gestaltique ». L'individu en société est typiquement un holon ; le mot dans la phrase aussi ; l'organe dans l'organisme de même. La communication de l'information entre niveaux s'opère entre déclencheurs (« triggers ») et filtres. La prise de décision du holon, compte tenu des mécanismes de rétroaction (« feedback ») et d’homéostasie, selon des règles et des stratégies, a lieu par une alternance d'habitudes et d'improvisation. Le holon possède une tendance double : vers l'intégration d'une part (dynamique vers l'ensemble de niveau supérieur), et d'auto-affirmation (« self-assertion ») d'autre part (affirmation de son individualité propre, tel un ensemble quasi autonome). La tendance à l'intégration dans le vivant fonctionne à l'inverse de la Deuxième loi de la thermodynamique de Schrödinger : l'évolution tend à développer spontanément des états de plus grande hétérogénéité et complexité (entropie négative). Corollaire en psychologie : la tendance à l'auto-affirmation, notamment en condition de stress, se manifeste à travers des émotions agressives-défensives ; la tendance à l'intégration se manifeste à travers des émotions de transcendance de soi : participatives, identificatives, etc.
Le devenir. L'évolution est ici considérée en parallèle en tant que développement de l'embryon et évolution des espèces. Le hasard du « vétéro-darwinisme » est remplacé par une certaine part de lamarckisme. Les chapitres IX à XII me semblent peu intéressants et peuvent être survolés pour peu qu'on soit familier de l'évolutionnisme tel qu'on le comprend aujourd'hui. Par contre le ch. XIII, « The Glory of Man », se penche sur les émotions, et dégage, des deux tendances du holon, trois types de réactions, selon la nature de la stimulation (« nature of drive »), la tonalité hédonique (« hedonic tone ») et la polarité entre les deux tendances (« self-assertive vs. self-transcending ») : « the AH Reaction » - la surprise, « the AHA Reaction » - la compréhension, et « the HAHA Reaction » - le rire. La partie II se clôt par le chapitre éponyme du livre, qui anticipe sur la thèse que le dysfonctionnement du système se produit lorsqu'il y a déséquilibre durable entre les tendances à l'auto-affirmation et à l'intégration du holon.
Le désordre. Ch. XV, « The Predicament of man » : Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, les plus grandes catastrophes ne proviennent pas d'une hypertrophie de la tendance à l'auto-affirmation, mais bien de l'inverse.
« […] most historians would agree that the part played by impulses of selfish, individual aggression in the holocausts of history was small; first and foremost, the slaughter was meant as an offering to the gods, to king and country, or the future happiness of mankind. The crimes of a Caligula shrink to insignificance compared to the havoc wrought by Torquemada. The number of victims of robbers, highwaymen, rapers, gangsters and other criminals at any period of history is negligeable compared to the massive numbers of those cheerfully slain in the name of the true religion, just policy, or correct ideology. » (p. 234).
L'urgence de la transcendance de soi doit être sublimée et canalisée (termes freudiens), mais la forme la plus commune de l'intégration, la plus infantile, dangereuse et nuisible aussi, c'est « l'identification » :
« One way of achieving this [self-transcendence] was through the transformation of magic into art and science. This made it possible for the happy few to achieve it on a higher turn of the spiral, by the sublime expansion of awareness which Freud called the oceanic feeling, which Maslow calls 'the peak experience', and which I called the AH-reaction. But only a minority qualifies for it. For the others, there are only a few traditional outlets open to transcend the rigid boundaries of the ego. Historically speaking, for the vast majority of mankind, the only answer to its integrative cravings, its longing to belong and to find meaning in existence, was identification with tribe, caste, nation, church or party – with a social holon. » (p. 242)
Deux autres points cruciaux pour la sociologie et la psychologie sociale sont développés dans ce chapitre : puisque l'identification entraîne une capitulation partielle de la responsabilité individuelle et induit des phénomènes quasi hypnotiques de psychologie de groupe, l'égotisme du holon social se nourrit de l'altruisme de ses membres. Deuxièmement, l'identification est parente, dans la pensée, du croire, l'auto-affirmation, du raisonner. Ce parallèle sera crucial ensuite.
Le Ch. XVI, « The Three Brains » revient à la biologie évolutive du cerveau. Après un saisissant interlude sur le développement nerveux des arthropodes (et la raison physiologique de ses limites), système nerveux situé aux deux extrêmes du corps où sont opportunément placés les deux orifices d'alimentation et d'excrétion-reproduction (sa fonction initiale étant précisément de contrôler alternativement l'ouverture et la fermeture de l'un et de l'autre), les travaux de MacLean sont abondamment utilisés sur l'évolution des cerveaux tripartites des amphibiens, reptiles, mammifères inférieurs et supérieurs. La notion de « schizo-physiologie » est avancée chez l'homme dans sa propre tripartition cérébrale, et l'on comprend que ce concept va être adapté à la théorie du holon (niveaux hiérarchiques) d'une manière qui donne une base physiologique à la tripartition quasi équivalente de Freud (ça-moi-surmoi), et va fournir également une justification physiologique des déséquilibres entre les deux tendances des holons. Revenons maintenant au parallèle avec le croire et le raisonner :
« Irrational beliefs are anchored in emotion ; they are felt to be true. Believing has been described as 'knowing with one's viscera'. More correctly we should say that it is a type of knowing which is dominated by the influence of the inarticulate old brain, even if it is formulated in articulate verbal terms. At this point, these neurophysiological considerations merge with the psychological phenomena discussed in the previous chapter. The schizophysiology of the brain provides a clue to the delusional streak in the history of man. » (p. 289).
Autre point de contact entre MacLean et la théorie du holon : le biologiste, en accord avec Konrad Lorenz, distingue entre deux types d'émotion : « d'auto-préservation » et de « préservation de l'espèce » : autant dire d'auto-affirmation et d'intégration ! (Là aussi, Richard Dawkins docebit...).
Chap. XVII, « A Unique Species » : l'unicité du cerveau humain, pour le meilleur et (surtout) pour le pire. Ce néocortex surdimensionné qui nous est échu est décrit par une parabole, tel un ordinateur de dernière génération offert par un djin au marchand analphabète Ali qui n'avait besoin que d'un abaque pour son commerce : un organe de luxe encore presque entièrement inutilisé et surtout dont il ne connaît pas le fonctionnement. Parfois il touche au hasard quelques boutons, et l'histoire de la science et de la philosophie montrent des soubresauts d'avancement complètement réversibles, tel celui des deux-trois siècles de l'Âge Héroïque de la Grèce antique... Aucune linéarité dans le progrès intellectuel ni surtout moral de l'homme ! D'immenses dégâts, en revanche, provoqués par une « coordination inadéquate » entre les structures nerveuses anciennes et celles, trop rapidement développées, du néocortex (p. 307). Le langage, qui pourrait être une aubaine, a été aussi une malédiction (« The Curse of Language ») dans sa force disruptive de séparation voire de répulsion mutuelle entre les cultures et les peuples. La découverte de la mort : un acquis du nouveau cerveau auquel l'ancien oppose un refus catégorique ; si elle a provoqué les inspirations les plus élevées des arts, depuis les pyramides jusqu'à la musique de Bach, de la tragédie grecque aux Sonnets de Donne, elle a « peuplé le monde de sorcières, de fantômes, d'esprits ancestraux, de dieux, demi-dieux, anges et démons. L'air est devenu saturé de présences invisibles, comme dans un asile d'aliénés. » (p. 311).
Le dernier chapitre, « The Age of Climax », contient à la fois les angoisses des années 60 que j'ai évoquées, et l'espoir de trouver une solution chimico-pharmaceutique à ce problème de défaut de communication intra-cérébrale : sinon par la mescaline et LSD 25 de l'ami Aldous Huxley (humm!), au moins par quelque substance miracle issue de l'RNA (p. 333) : somme toute, là aussi, un remède très Sixties...

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