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[Punir. Une passion contemporaine | Didier Fassin]
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apo



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Posté: Jeu 14 Fév 2019 18:43
MessageSujet du message: [Punir. Une passion contemporaine | Didier Fassin]
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Cet excellent essai s'attelle à déconstruire deux phénomènes sociaux relativement récents et en plein essor dans le monde contemporain : l'intolérance sélective de la société vis-à-vis de certains délits (et non d'autres, indépendamment de leur nocivité), et le populisme pénal décliné dans des actes politiques, dans le judiciaire ainsi que dans la répression policière.
Partant du constat de l'accroissement du caractère répressif de la plupart des sociétés, mesurable entre autres choses par l'augmentation de la population carcérale, l'alourdissement des peines [et l'armement des forces de l'ordre], sans lien direct avec la délinquance et la criminalité, mais par contre en corrélation avec l'aggravation des inégalités et des tensions sociales, l'auteur considère tout spécialement les cas de la France et des États-Unis selon une perspective pluridisciplinaire qui dépasse le normatif – la philosophie morale et la doctrine juridique – au profit de l'empirique : l'ethnologie, la philologie, la sociologie de la justice et du droit. Des études de cas particulièrement troublants, aussi bien tirés du milieu pénitentiaire, du déroulement de procès que de pratiques et comportements policiers, formant le corpus de travaux précédents, sont évoquées uniquement à titre d'exemple, dans le cadre d'une démonstration à la fois plus vaste et plus abstraite, qui éloigne l'ouvrage de toute tentation pamphlétaire et ses propos de toute polémique, cependant que le lecteur n'est pas immun d'une très légitime indignation.

La déconstruction du « moment punitif » se déroule en trois étapes, autour des questionnements suivants : ch. Ier : « Qu'est-ce que punir ? », ch. II : « Pourquoi punit-on ? », ch. III : « Qui punit-on ? ». Dans la première, principalement ethnologique et philologique, il s'agit surtout de comparer des systèmes moraux fondés sur la compensation du crime en guise d'obligation et de dette à des systèmes moraux plus religieux (notamment chrétiens, malgré la prétention des codes pénaux occidentaux modernes à la laïcité) fondés sur l'infliction de la souffrance et sur l'expiation. Dans la deuxième, principalement philosophique et juridique, sont analysées les limites des justifications traditionnelles de l'acte de punir, l'utilitarisme et le rétributivisme, mises à mal par un enchevêtrement complexe et inavouable de motivations subjectives et objectives diverses, par l'existence de dimensions émotionnelles et pulsionnelles, par l'indignation différenciée devant l'infraction, et, in fine, surtout par le contenu du ch. suivant. Troisième étape, sociologique : l'analyse du châtiment différencié selon l'identité des auteurs présumés : le cas le plus évident, en France, relève des sanctions relatives aux stupéfiants, qui ont très considérablement évolué depuis le début des années 70, pour devenir un moyen de châtier, et plus spécifiquement de tenir en sujétion et menace constantes les jeunes hommes des banlieues issus d'un héritage colonial, ou d'esclavage et de migration. (Pour les États-Unis, il s'agit d'une discrimination raciale et censitaire) [On pourrait les nommer, simplement, pour les deux cas : les « racisés »].

L'auteur résume ainsi ses conclusions :
1. « le lien qu'on dit fondateur entre le crime et le châtiment connaît de nombreuses exceptions ».
2. « la distinction supposée entre vengeance et châtiment s'avère souvent difficile à valider ».
3. « l'infliction d'une souffrance ou d'une forme équivalente de peine censée être l'essence même de la sanction n'a pas toujours existé ».
4. « l'alternative entre utilitarisme et rétributivisme dans la justification de l'acte de punir rend mieux compte d'aspirations idéales que de la réalité des pratiques ».
5. « l'approche rationnelle développée par les disciplines normatives autant que par les sciences sociales laisse inexplorée une double dimension à la fois émotionnelle et pulsionnelle ».
6. « la distribution des peines […] reflèt[e] et consolid[e] les disparités sociales ».
7. « l'affirmation de la responsabilité individuelle dans la commission d'infractions, qui va de pair avec le déni de sa dimension sociale, s'impose à mesure que les inégalités s'accroissent : plus les logiques sociales se font prégnantes dans la production du crime et la dispensation du châtiment, moins elles sont reconnues par les magistrats, par les politiques et, au-delà, par la société ». (pp. 155-156)

Un élément conclusif, même s'il n'est pas explicitement développé dans la conclusion, consiste pour moi à constater que, quel que soit le niveau de l'empoisonnement idéologique nommé « populisme pénal » atteint, qui aspire à une répression de plus en plus forte, la mise en pratique de celle-ci provoque un résultat paradoxal : un sentiment accru d'insécurité et non de sécurité.


Cit. :

« Peut-être faut-il l'interpréter [l'apparente contradiction entre la responsabilité individuelle et la dimension sociale du crime et du châtiment] comme un déni de réalité, au sens où les psychanalystes utilisent cette formule, à savoir une forclusion de ce qui serait insupportable à admettre. Si, en effet, il s'avérait qu'on punit de plus en plus indépendamment de l'évolution de la criminalité, qu'on pénalise les infractions moins en fonction de leur gravité qu'en fonction de ceux qui les commettent, qu'on sélectionne ainsi pour les sanctionner et souvent les enfermer les catégories les plus fragiles sur le plan socio-économique et les plus marginalisées pour des raisons ethno-raciales, et qu'enfin tout ce processus rend la société à moyen terme moins sûre et à long terme plus divisée, alors on devine combien cette révélation serait intolérable aux démocraties contemporaines. Par contraste, on comprend que considérer que chaque personne condamnée est responsable de son acte, qu'elle mérite son châtiment, fût-il particulièrement dur, et que l'institution pénale protège ainsi la sécurité des citoyens paraisse plus acceptable. La seconde version est assurément plus gratifiante que la première sur un plan moral. » (p. 147)

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Swann




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Posté: Mer 20 Fév 2019 14:38
MessageSujet du message:
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Curieusement, la lecture de l'expression "populisme pénal" n'a pas évoqué pour moi des peines trop sévères mais au contraire la remise en liberté d'une femme jugée coupable en cours d'Assises et contre la libération anticipée de laquelle plusieurs psychiatres experts (habituellement qualifiés de laxistes dans la phraséologie populiste) avaient émis un jugement défavorable ("toujours dangereuse"). Bien entendu, on était arrivé à cette décision aberrante du politique en collusion ("collision" irait plutôt mieux) avec la justice au terme d'un deuxième procès médiatique émotionnel et irrationnel très inquiétant.
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Auteur    Message
apo



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Posté: Jeu 21 Fév 2019 5:21
MessageSujet du message:
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Hier après-midi, à l'instant même où tu écrivais ce message, ma femme a été malmenée et brutalisée par un CRS, à la sortie du métro Varenne, Paris 7ème, où elle avait donné rendez-vous à une amie pour se rendre au Musée Rodin. Elle s'est trouvée par malchance au milieu de manifestants de La Poste ("Réseau Stop Précarité"), encerclés, chargés et poursuivis jusqu'à l'intérieur de la bouche du métro. Je précise que hier, ce n'était pas samedi et qu'elle ne portait pas un gilet jaune.
Dans un contexte où, après l'introduction d'une loi dite "anti-casseurs" qui autorise voire favorise cela, il est par ailleurs question de projets législatifs sur l'introduction du délit d'antisionisme, la levée de l'anonymat sur Internet ainsi que la soumission de l'information à un "imprimatur" de la part d'un comité sous tutelle gouvernementale, chacun se fera, du "populisme pénal", l'idée que sa conscience lui dictera...
Bonne journée.
_________________
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Auteur    Message
Swann




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Posté: Jeu 21 Fév 2019 9:33
MessageSujet du message:
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Mon propos n'était évidemment pas de dire que le populisme judiciaire sévère n'existait pas. Et je suis bien entendu désolée pour l'injustice doublée de violence qui a été faite à ta femme et j'espère qu'elle va bien...
En l'occurrence, ce qu'il me semble voir à l'oeuvre dans cette affreuse anecdote et son contexte politique, ce sont des exécutifs et législatifs sévères et infléchissant la justice dans ce sens-là, avec des parquets aux ordres et des comparutions immédiates qui sont des moulins à viande. Et qui prétendent lutter, justement contre le populisme.
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