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[L'or noir des steppes | Sylvain Tesson - Thomas Goisque]
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apo



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Posté: Jeu 03 Mai 2018 19:52
MessageSujet du message: [L'or noir des steppes | Sylvain Tesson - Thomas Goisque]
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Dans une vie antérieure, je me suis intéressé de très près aux ressources énergétiques nouvellement découvertes en Asie centrale et dans le Caucase. [Jeune homme sous l'emprise de ses hormones, je ne sus résister aux charmes d'une employée à la longue chevelure de chez Total, invitée sur notre campus, qui obtint trop facilement mon manuscrit, alors que le mien, de charme, ne me suffit pas à me faire embaucher par et en sa compagnie ; c'est ainsi que je sauvai mon âme mais me sentis longtemps dépité...]
L'anecdote sert pour rappeler qu'à l'époque, la construction de l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan n'était qu'une des possibles routes alternatives de désenclavement des hydrocarbures des républiques indépendantes récemment issues de la dissolution de l'URSS, et que l'enjeu de ces tracés était surtout géopolitique. La Russie allait-elle se réapproprier les ressources en les acheminant de façon centralisée dans son réseau existant, puis par tanker à travers la Mer Noire et les Dardanelles ? La Chine aurait-elle l'audace de se les accaparer par un pipeline qui retracerait le segment oriental de la Route de la soie ? L'Occident, par le truchement de la Turquie, saurait-il faire valoir ses raisons à elle, entre autres environnementales, en interdisant le transit par le Bosphore et imposant au contraire un trajet par l'Anatolie jusqu'au littoral méditerranéen oriental, à proximité de la Syrie ? Au niveau systémique, les visées des grandes puissances étaient en jeu, et au niveau local, les conflits armés : la guerre Arméno-Azérie prétextant les enclaves du Haut-Karabagh (et du Nakhitchevan), les multiples foyers de conflit au Sud-Caucase, dont on ne se rappelle plus que de la Tchétchénie, et peut-être des révoltes géorgiennes contre la Russie, la reviviscence des rébellions kurdes dans l'Est anatolien, le refroidissement temporaire du fameux axe Moscou-Erevan-Teheran contre Washington-Ankara-Bakou... Et accessoirement, la question de savoir si les despotes des nouveaux pays indépendants, tous des apparatchiks soviétiques, sauraient à la fois s'émanciper de la Russie, à la fois défendre leurs propres intérêts et ceux des consortiums pétroliers occidentaux, et se défendre des courants islamistes radicaux gagnant rapidement de l'envergure depuis la Vallée de Ferghana autant que des contreforts caucasiens. Enfin, comment transformer la convoitise énergétique génératrice de tensions internationales en instrument de pacification ? Comment convaincre les régions parcourues par le tuyau qu'elles pourraient bénéficier d'une aide au développement, sinon d'une rente pétrolière, à condition de ne pas y puiser frauduleusement ni de ne menacer d'en fermer les robinets, ou pire, de le faire sauter pour exercer le chantage à l'aval ? Voilà ce sur quoi nous nous interrogions jadis.
Depuis juillet 2006, l'oléoduc occidental (sous l'égide de British Petroleum) Bakou-Tbilissi-Ceyhan est ouvert et fonctionne à plein régime. L'Occident a gagné. Beaucoup de ces conflits se sont apaisés, d'autres se sont enflammés pour d'autres raisons, ou plutôt pour d'autres gisements plus ou moins éloignés de là...
Aussi, lorsque nos deux pèlerins, Sylvain Tesson, l'écrivain voyageur à pied et à bicyclette, et Thomas Goisque, le photographe, en jeep, prennent la route du flux de pétrole, depuis les steppes ouzbèkes, par la Mer d'Aral quasi asséchée, puis à travers la Caspienne, et enfin suivant le tracé du pipeline BTC jusqu'à la Méditerranée, en quatre mois passés à longer les oléoducs, leurs méditations ne sont-elles plus d'ordre géopolitique mais bien plus environnementales. Ils se concentrent tout particulièrement sur le caractère éphémère des ressources en hydrocarbures et sur la fragilité du système productiviste tout entier, qui les dévore à un rythme proprement insoutenable.
Je vais avouer d'emblée : je ne me suis pas retrouvé dans le texte, bien que, abstraitement, je me trouve d'accord avec Tesson ; peut-être aussi parce que les informations sur les lieux et les faits ne m'étaient pas inconnues. Par contre, les photos, qui ont une importance quand même prépondérante dans ce livre, m'ont semblé absolument magnifiques : je suis stupéfait que l'on puisse, à partir d'un thème apparemment aussi aride que des installations pétrolières sur fond désertique ou aquatique, dégager autant de poésie, d'intelligence de l'esprit des lieux, de sensibilité aux paysages géographiques et humains, de beauté épurée des lieux communs.
Dans l'écrit, j'ai regretté la discordance avec les images, l’exiguïté des descriptions de géographie physique, là où ces endroits sont à la fois très éloignés de nos horizons et chargés d'un imaginaire mythique – les steppes, la Route de la soie, la mer d'hydrocarbures au large de la ville de Nobel, le port de Jason et des Argonautes... - ; je me suis encore plus langui de récits sur les gens, ces hommes et femmes pourtant si bien portraiturés. Comment la construction s'est-elle déroulée ? Les habitants ont-ils « adopté » l'oléoduc, sont-ils satisfaits par les actions de développement mises en place par BP le long de son tracé ? Qu'est il advenu des dizaines de milliers d'ouvriers qui ont travaillé sur le chantier ? Y a-t-il des changements visibles dans les régions traversées, dès lors que les tubes sont enterrés et ne restent que des patrouilles à cheval et des travailleurs dans derricks soviétiques vétustes et sur les îles artificielles et aux centres de pompage ultra-modernes et hyper-sécurisés des consortiums ?
Cela aurait valu beaucoup plus que des considérations relativement consensuelles (en France) dans le style COP 21...

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