À Daraya, banlieue rebelle à proximité de Damas, assiégée et constamment pilonnée par Bachar al-Assad entre 2012 et 2016, des circonstances fortuites ont conduit quelques jeunes gens à récupérer des livres ensevelis sous les décombres et à les rassembler dans un souterrain qu'ils transforment en bibliothèque rudimentaire et clandestine. Si rien ne prédestinait Ahmad, Shadi, Hussam, Abou el-Ezz, Omar et leurs copains à devenir bibliothécaires – pas même l'assiduité dans la lecture... – Daraya, par contre, était déjà, depuis les années 1990, un foyer de contestation pacifique voire pacifiste au régime des Assad : l'isolement du siège subi pendant quatre ans l'a sauvegardée des influences des groupes armés radicalisés (notamment le Front al-Nosra et Daech), en favorisant ainsi sa résistance « modérée » et par conséquent un climat propice à la lecture, à l'autodidactisme, au dialogue, à la documentation et archivage des preuves des exactions du régime, ainsi qu'à leur diffusion par Internet aux journalistes étrangers disposés à écouter les témoignages de désolation et de martyre.
Depuis son bureau d'Istanbul, Delphine Minoui, reporter au Figaro et auteure d'ouvrages concernant notamment l'Iran, a été à l'écoute pendant un an, elle est devenue l'amie virtuelle de ces jeunes, et en a reconstitué les péripéties ainsi que celles de leur bibliothèque, jusqu'à l'évacuation forcée de Daraya en septembre 2016. Par leur intermédiaire, elle a rapporté la singularité de l'expérience de cette ville et a montré comment sa bibliothèque secrète a constitué un facteur d'acculturation et de prise de conscience des lecteurs, ainsi qu'un espace de réconfort et d'espoir de recouvrement d'un quotidien normal, en dépit des conditions de vie de ses habitants, en guerre et privés des ressources les plus élémentaires. On a découvert leurs lectures préférées, parmi lesquelles des ouvrages sur le développement personnel de psychologues américains, des témoignages du siège de Sarajevo de vingt ans auparavant, des recueils de poèmes de Mahmoud Darwich... L'on a appris la rédaction de fanzines humoristiques, le déroulement de cours d'anglais improvisés et de débats à bâtons rompus sur la question de savoir si le « modèle turc » pourrait être importé dans la Syrie du futur en évitant les « erreurs » d'Erdoğan. L'on s'est attachés, avec l'auteure, aux voix singulières des bibliothécaires en herbe et à leur destin hasardeux ou tragique.
Le principal défaut de ce récit, cependant, réside à mon sens dans le fait d'avoir été rédigé « en absence ». La carence des descriptions, les lacunes d'information sont souvent palliées par un style trop lyrique, là où au contraire la puissance des émotions aurait requis la sobriété. La référence répétée à la session hebdomadaire d'écoute de contes, avec sa fille de quatre ans, à la médiathèque de l'Institut français d'Istanbul, ainsi qu'aux actes de terrorisme islamiste tragiques survenus en France et à Istanbul à la même époque, sans rapport avec le sujet, m'a paru répondre à une logique éventuellement « romanesque » qui a desservi l'ouvrage.
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