[Lu dans le texte, existe aussi en traduction française]
Tiziano Terzani a été, de toutes les personnes que j'ai connues personnellement ou par leurs écrits, celle qui s'est le mieux préparée à sa mort. Mort joyeuse, abandon d'un corps désormais déformé et endolori, mort acceptée après s'être détaché de tout désir, angoisse et regret, dans un sentiment de réalisation de soi et de conjonction avec l'univers.
Dans ses trois derniers mois, Tiziano demande à son fils Folco de conduire avec lui un entretien-fleuve, reproduit presque verbatim, qui se présente donc comme un bilan de sa vie – biographie personnelle, professionnelle, affective – vie de grand reporter, écrivain et voyageur, mais surtout bilan de son cheminement intellectuel, politique, culturel et spirituel. Par-delà ses expériences d'études aux États-Unis, puis de travail d'enquête au Vietnam, au Cambodge, parmi les premiers journalistes occidentaux accrédités en Chine, puis au Japon et enfin en Inde, on peut apprendre en effet la manière de faire et l'éthique qui sous-tendirent son engagement et sa vie tout entière.
D'autres livres parmi ses derniers, qui n'étaient plus à proprement parler des ouvrages journalistiques (encore que...), en particulier :
Un altro giro di giostra (titre mal traduit par :
Un autre tour de manège), m'avaient donné de l'auteur une vision presque prophétique, d'un homme très avancé dans un chemin sur lequel moi-même et la plupart des gens qui m'entourent ne sommes qu'aux premiers pas. Pour beaucoup, je crois qu'il en a été ainsi, dans les dernières années de sa vie (les années 2000) et sans doute ensuite.
Et en même temps, ces ouvrages étaient spécifiques, avaient pour thèmes : le voyage en lenteur et la diversité culturelle (
Un devin...), le pacifisme après le 11 Septembre (
Lettres contre la guerre), le journal d'un malade de cancer (op. cit.).
Dans cet ultime témoignage, dont j'ai longtemps reporté la lecture, probablement redoutant une trop forte intervention du fils – crainte injustifiée – l'image de Terzani qui évolue au fil de sa vie prend toute sa consistance, je découvre même chez lui des périodes de dépression (au Japon), les doutes de sa désillusion politique, qui superficiellement m'avait paru reproduire à l'identique la déception après l'engouement que tant d'intellectuels occidentaux ont éprouvés pour le maoïsme.
On trouvera donc dans ce récit tout ce qu'on y cherchera : l'histoire d'une vie aventureuse, un vade-mecum pour reporteurs-écrivains-voyageurs, un essai sur les errements de l'homme contemporain, sur les perversités du pouvoir et du politique, une leçon sur la vie et sur la mort et la façon de vivre l'une et l'autre, de l'une à l'autre, avec un rayonnant éclat de rire.
[PS - petite curiosité linguistique : je me rends compte que l'italien oral, surtout celui d'un Toscan truculent, supporte très bien une surabondance de gros mots par rapport au français standard ; d'où un problème que le traducteur a dû se poser : supprimer un certain nombre de jurons (en sauvant peut-être les plus créatifs – traducteur « pallelesse » !) ou laisser croire que le grand reporter parlait comme un pochard ?]
Cit. :
« Devi capire, Folco, che questa è anche una storia di riscatto. Io sono nato povero e ho dovuto riscattare questa povertà. Non economicamente ma socialmente, con un impegno sociale. E questa è la storia della mia vita.
Ma sia chiara una cosa : questo modello non è che la gente come me lo voleva trasferire in Occidente. Era pensato per il Terzo Mondo che proprio in quel tempo veniva decolonizzato. Ci si identificava con il Terzo Mondo contro quello capitalista, ci si identificava con gli oppressi, con la classe dei diseredati. Faceva parte del nostro riscatto sociale. » (p. 48)
« Ma soprattutto mi ha deluso la politica stessa come strumento di cambiamento. » (p. 218)
« Allora io mi chiedo : è possibile salvare capra e cavoli e mantenere la bellezza del mondo che sta nella sua diversità ?
[…]
Se tu guardi gli altri popoli con rispetto, come se davvero nel fondo fossero uguali a te – anche se tu hai curato il tracoma e loro ancora no – ti rendi conto che forse hai tanto da imparare da loro.
[…]
Si possono lasciare gli altri coi loro valori, aiutarli a curarsi il tracoma e chiedere loro che ci aiutino a curarci di una malattia che è molto più devastante del tracoma, ed è la nostra infelicità ? » (pp. 308-309)
« È questa benedetta storia della libertà-à-à ! Noi oggi ce la siamo ridotta immensamente, tanto che finiamo per vivere solo ai margini della nostra libertà a causa di tutto ciò che è automatico nel nostro modo di pensare, di reagire, di fare le cose. Questa è la grande tragedia. E le scuole oggi non sono fatte per insegnare ai ragazzi a pensare, son fatte per insegnare ai ragazzi a sopravvivere, per insegnar loro delle cose con cui poi trovano un posto in banca. E quando ne esci sei condizionato. » (p. 400)
« E una delle cose a cui tengo moltissimo è che tu capisca che quello che ho fatto io non è unico. Io non sono un'eccezione. Io questa vita me la sono inventata, e mica cento anni fa, ieri l'altro. Ognuno la può fare, ci vuole solo coraggio, determinazione, e un senso di sé che non sia quello piccino della carriera e dei soldi ; che sia il senso che sei parte di questa cosa meravigliosa che è tutta qui attorno a noi.
Vorrei che il mio messaggio fosse un inno alla diversità, alla possibilità di essere quello che vuoi. Allora, capito ? È fattibile, fattibile per tutti.
F: Cosa è fattibile ?
T: Fare una vita, una vita. Una vera vita, una vita in cui sei tu. Una vita in cui ti riconosci. » (p. 442)
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