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[Résister - Le prix du refus | Gérald Cahen (dir.)]
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Posté: Dim 02 Avr 2017 11:52
MessageSujet du message: [Résister - Le prix du refus | Gérald Cahen (dir.)]
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Comme dans tous les ouvrages que Gérald Cahen a dirigés aux éditions Autrement, il est question ici d'ouverture d'un concept habituel sur les horizons les plus vastes et les champs de recherche les plus variés, tout en gardant une perspective d'actualité (ici, celle du début des années 1990).

« […] un ouvrage collectif sur le thème "Résister". Résister au sens large et pas seulement au sens politique où on l'entend généralement. Dans cet esprit, il nous a paru indispensable de nous interroger sur l'art et la littérature comme forme de résistance non seulement parce qu'un livre ou une œuvre d'art sont souvent des gestes critiques qui bousculent les idées admises, renouvellent radicalement notre regard sur la société, mais surtout parce que, en créant un espace et un temps qui leur sont propres, ils se situent délibérément "ailleurs", ils résistent aux modes et aux habitudes de pensée régnantes. » (p. 118)

Cette démarche peut toujours être critiquée sur deux fronts : celui de la pertinence (par excès ou par défaut d'inclusivité), celui de la confusion, comme l'a fait Claude Simon, en réponse à la requête de participer à l'ouvrage :
« Puis-je vous dire que je crains une certaine confusion créée par le mot "résistance" et qu'il me paraît peut-être dangereux de faire déborder ce concept du vocabulaire militaire (contre un agresseur) ou politique (un oppresseur) sur le littéraire ou l'art ? Vous écrivez que ceux-ci "résistent aux modes, aux habitudes de pensée régnantes" et plus loin, inversant votre propos, vous parlez de "la résistance" que "la langue elle-même" oppose à l'écrivain.
Il me semble que tout écrivain ou artiste se soucie moins (ou même pas du tout) de résister (aux modes, etc.) que d'écrire (ou de peindre, ou de composer) pour le mieux. Je crois que toute démarche négative est, en art, condamnée à la nullité. » (in : réponse de Claude Simon p. 120)

Et l'ancrage historique de cet ouvrage se voit justement à l'importance de ce que Simon qualifie d'inversion du propos, c-à-d. la symétrie entre la résistance à quelque chose d'extérieur, et la résistance à et en soi-même. Peut-être, à cinq lustres d'écart de la première éd. du livre, ces deux côtés ne seraient-ils déjà plus traités avec le même souci de symétrie... ?

Toutefois, il demeure l'évidence que « l'on ne résiste pas de la même manière aux intempéries, au fascisme ou à la gourmandise » (p. 12), laquelle justifie une interdisciplinarité que se décline ici dans les quatre parties suivantes :
1. « Péril en la demeure » : avec une intervention sur la résistance de l'organisme aux agents pathogènes ; une sur la résistance à la thérapie en psychanalyse ; une sur les résistances, minimes ou colossales, dans la vie quotidienne ; une sur un sport, le ski, comme résistance (justement diptyque!) – dans deux textes de Sartre et de Michel Bouet – ; une formée d'un échange épistolaire entre une doctorante 'irrésistiblement' attirée par un sujet de recherche sur Proust et un professeur qui lui 'résiste' ;
2. « L'esprit qui toujours nie » : avec un article sur la résistance que les monuments opposent au temps (opposition entre visions architecturales de l'Égypte et de la Grèce antiques) ; un sur la résistance dans la création artistique, en particulier sur la question des avant-gardes ; l'un sur Victor Hugo ; le débat avec Claude Simon ;
3. « Savoir dire non » : une contribution sur l'harmonie sociale chez Émile Durkheim ; une sur Antigone comme 'anti-résistante' ; une sur la résistance et le fratricide, en partant du cas des conceptions opposées de la colonisation (américaine) de Las Casas et Francisco de Vitoria (sans oublier Sepúlveda...) ; une sur la non-violence de Gandhi et successeurs ;
4. « Faire face » : un texte sur l'histoire de la résistance huguenote en France (1572-1787) ; un très beau dialogue sur les perceptions contradictoires de l'héritage de la résistance allemande anti-nazie entre l'historiographie est- et ouest-allemande (avec quelque incursion sur la mythologie résistante française...) ; un extrait sur le sens de la transmission mémoriale pour la sœur du résistant allemand Willi Graf (de la Rose Blanche) ; enfin une conclusion sur la perte de sens de la résistance à l'heure des guerres en ex-Yougoslavie.

Moi, j'adhère à la thèse de Cahen, qu'il n'y a pas d'inversion de propos, et je suis du côté de la symétrie.

Cit :

« Au moment d'une infection, la température du corps s'élève, et l'organisme sécrète des protéines particulières […]. Elles se révèlent très proches dans leur composition d'une foule d'agents pathogènes, qui vont du parasite de la malaria au bacille de la lèpre et à des vers. Si nous savons résister aux parasites et aux microbes, c'est peut-être parce qu'ils ne nous sont pas totalement étrangers. Résister à l'Autre rappelle les incertitudes et les ambiguïtés de la résistance à soi-même. » (Anne Marie Moulin, p. 32)

« […] il n'y a pas de création sans cette double résistance préalable à l'apathie et à l'engluement.
Mais résister à ces tentations n'est pas encore vraiment résister. C'est résister dans le plaisir […]. Après tout, on peut vivre sans créer, comme on peut vivre sans philosopher (« mais pas si bien », certes, comme ajoutait Jankélévitch). La vraie résistance commence quand on n'a plus le choix. Ou, ce qui revient au même, quand le choix est entre une soumission dégradante et un combat pénible. » (Dominique Noguez, p. 94)

« […] si son acte [d'Antigone] est "subversif" (mais il n'est interprété comme tel que par les autres), c'est seulement parce qu'au lieu d'abolir le pouvoir, ou au moins de le "contester", il le condamne à durer, à s'exercer encore, mais en laissant apparaître la mutilation de sa toute-puissance imaginaire. Il ne peut tout avoir, il ne peut tout obtenir, il n'y a de pouvoir totalitaire que dans la fiction de ceux qui partagent son imaginaire. Créon ment quand il répond à Antigone, ironique et soupçonneuse, que sa mort lui suffit. C'est sa vie qu'il voulait. Mais il ne l'aura pas. » (Bertrand Ogilvie p. 144-145)

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