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[Muss | Curzio Malaparte]
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Posté: Sam 01 Oct 2016 23:05
MessageSujet du message: [Muss | Curzio Malaparte]
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Ce livre se compose de deux textes inédits sur Mussolini, établis à partir de notes et de manuscrits en possession des héritiers de Malaparte, et publiés en Italie seulement en 1999.
« Muss » est une esquisse de biographie du Duce, ou plutôt une réflexion tirée à la fois d'anecdotes mettant en évidence les traits ridicules de sa psychologie, et d'une analyse sociologique et culturelle sérieuse du fascisme, notamment en relation avec la catholicisme (foi populaire et institution ecclésiastique). Commencée en 1931 à Paris pour paraître chez Bernard Grasset, ami de l'auteur, elle fut interrompue parce que ce dernier se sentait menacé, non sans raison, puisque son arrestation et relégation coïncidèrent avec son retour en Italie en 1933. Reprise ensuite en 1945-46 sur des tons remarquablement plus amers et aussi plus caustiques et sarcastiques, à un moment où l'auteur aurait eu tout intérêt à marquer sa position critique vis-à-vis du régime, elle ne fut toutefois pas publiée à cette époque non plus. A noter qu'un texte sur la visite de Malaparte à la morgue où gisait Mussolini, destiné à un autre ouvrage mais figurant ici (intelligemment) en appendice à « Muss », révèle une étrange pitié, assurément un sentiment de pardon et à l'évidence l'ampleur de l'ambivalence des sentiments que l'auteur vouait au dictateur. Ceci peut expliquer que l'ouvrage soit resté inédit de son vivant.

Le deuxième texte, « Le Grand Imbécile », qui remonte sans doute à 1943, est une farce hyperbolique basée sur un épisode historique réel survenu au cours du siège de Padoue en 1509 : l'auteur imagine que la fin la plus adaptée pour un Mussolini chevauchant gauchement – entravé par son gros cul – à la tête de son armée de sbires, consisterait à se trouver face à la ville natale de Malaparte, Prato, entourée de fortifications, à haranguer contre... une chatte féroce et en présence d'une population hilare !

Il apparaît donc clairement trois styles - voire trois modes d'écriture - distincts qui s'alternent au fil de ces pages : l'intimisme du récit, parfois presque dans le registre impudique du commérage et de la revanche personnelle ; la réflexivité de l'essai, surtout dans les pages de 1931 destinées à un public français jugé imparfaitement conscient de la nature et des dangers du fascisme (d'autant qu'Hitler n'est pas encore au pouvoir en Allemagne) ; la créativité purement littéraire, qui caractérise non seulement « Le Grand Imbécile » mais certaines pages plutôt poétiques ajoutées à « Muss » dans ses versions successives.

Je choisis trois extraits qui relèvent du deuxième style, dont un assez long qui constitue une intéressante prise de conscience de la propre position de l'auteur face au fascisme.

« Au fond, la civilisation d'Europe se réduit au respect de quelques préjugés et de conventions. Parmi ces préjugés, le plus caractéristique consiste à condamner toute forme de violence illégale ; et parmi ces conventions, la plus généralement respectée est d'approuver toute forme de violence légale. Les gens honnêtes, qu'ils s'appellent Babbit ou Candide, se sentent parfaitement en règle avec leur conscience quand ils protestent aujourd'hui contre Hitler (comme jadis contre le Duce) et, dans le même temps, approuvent Mussolini avec enthousiasme. Le jour où Hitler aura réussi à légaliser la violence en Allemagne, comme Mussolini l'a fait depuis longtemps en Italie, Babbit et Candide applaudiront Hitler comme aujourd'hui ils applaudissent Mussolini. » (p. 44)

« La condition indispensable pour réussir était que le fascisme n'ait ni programme défini, ni idées claires, ni buts précis. Depuis le début, Mussolini a toujours pris soin d'empêcher que la conscience de la petite bourgeoisie et des masses, dans ce chaos qu'était l'Italie d'après-guerre, trouve un point d'appui concret. Il fallait éviter que le peuple italien, sur cette mer démontée, eût une bouée quelconque à laquelle se raccrocher.
Le Duce, qui possède à un très haut degré la fourberie et le cynisme qui reviennent si souvent dans l'histoire des servitudes politiques en Italie, a eu la grande habileté tactique de faire émerger ce fond trouble de fanatisme qui alourdit et obscurcit la conscience des masses catholiques. » (p. 63)

« C'est avec beaucoup d'amertume que je procède à l'examen des méthodes utilisées par Mussolini pour avilir et humilier systématiquement la conscience des Italiens. Pour ma part, je n'ai jamais hésité, pendant dix ans, à hausser le ton, avec une hardiesse qui m'a valu beaucoup d'ennemis mais aussi beaucoup d'amis […]
Pendant dix ans, je n'ai jamais eu d'autre préoccupation que de sauver mon âme. Il se peut que ma conduite politique n'ait pas été très avisée, que je n'aie pas fait honneur à la patrie de Machiavel […]
Mon œuvre littéraire hétérodoxe, mes imprudences politiques, mes polémiques, mes duels, mes mésaventures, la situation intenable que je me suis créée au sein du fascisme par mes positions anticonformistes témoignent de ce que tous les jeunes, en Italie, n'approuvent pas avec enthousiasme une politique qui n'a d'autre résultat que d'habituer le peuple italien à tenir les yeux baissés et à perdre peu à peu tout sens de la dignité morale et civile.
Pourtant, je me demande parfois, en écrivant ces pages, si ceux qui critiquent les méthodes appliquées par Mussolini pour réduire l'Italie à une énorme prison-modèle, décorée de bannières et d'arcs de triomphe, retentissante de musiques militaires et d'applaudissements disciplinés, dans laquelle vivent depuis dix ans quarante millions d'hommes, n'ont pas tort. » (pp. 98-99)

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