Dans un contexte où tout sentiment amoureux voire d'affectivité est évincé, à cause des psychopathologies individuelles venant de l'enfance de chacun et de la violence quotidienne de la société de l'image sur le corps féminin, deux femmes rivalisent pour séduire un homme. Rose est styliste (elle contribue à créer cette image), Julie est réalisatrice de documentaires (elle contribue à la révéler ou dénoncer), Charles est photographe de mode (il contribue à la reproduire et diffuser).
Leurs relations sexuelles, appendices toxiques de corps tout empreint de souffrances psychiques inguérissables, n'effacent pas la fatalité de la honte, du malheur, de la pulsion mortifère. Leurs relations humaines, et pas seulement celles des deux rivales, sont fondées sur la haine. Parmi les instruments de séduction, dont la beauté en tout premier lieu, figurent ceux de la chirurgie esthétique ; les détentrices de ces armes de guerre sont donc elles-mêmes les victimes consentantes de ces bistouris tenus par le fil : victimes aux balafres auto-infligées, aux sévices gymnastiques et diététiques, aux morsures telles que celles du soleil sur leurs peaux septentrionales. Femmes-Vulves emprisonnées dans leur burqa de chair (ici apparaît la formule). L'homme n'est guère mieux loti. Le collectif n'est pas l'unique responsable.
C'est là le troisième opus d'Arcan, première fiction dépassant le pur matériau autobiographique. Son style est affirmé, sûr et succinct. La précision des concepts et des situations (j'allais écrire des diagnostics) est comme toujours sertie dans une impressionnante exactitude du vocabulaire. L'impossibilité de l'espoir en découle avec l'implacabilité d'un syllogisme.
Cit. :
"Physiquement elles se ressemblaient, c'est vrai, mais cette ressemblance en indiquait une autre, cachée derrière, celle de leur mode de vie consacré à se donner ce que la nature leur avait refusé ; Rose et Julie étaient belles de cette beauté construite dans les privations, elles s'en étaient arrogé les traits par la torsion du corps soumis à la musculation, à la sudation, à la violence de la chirurgie, coups de dé souvent irréversibles, abandons d'elles-mêmes mises en pièces par la technique médicale, par son talent de refonte. Elles étaient belles de cette volonté féroce de l'être." (p. 17)
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