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[Reflets dans un oeil d'homme | Nancy Huston]
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apo



Sexe: Sexe: Masculin
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Posté: Sam 15 Fév 2014 0:01
MessageSujet du message: [Reflets dans un oeil d'homme | Nancy Huston]
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Il en est hélas souvent ainsi lorsque je lis des essais de Nancy Huston – que je sais très aimée de certains amis agoriens : je suis attiré par l'importance du sujet traité, je m'aperçois naturellement de l'adresse avec laquelle il l'est, j'apprends beaucoup parce que c'est bien documenté... mais je n'adhère pas aux thèses soutenues ou bien j'ai de grosses réserves de méthode. Là, c'est exactement le cas.

Le sujet, c'est l'importance du regard que l'homme porte sur la femme, emblème incontestable d'une différence irrévocable entre les sexes, explicable par des raisons génétiques liées à l'impératif de la reproduction. Je le tiens pour fondamental. Mais je conteste qu'il s'inscrive dans une polémique sans fin – donc lassante – contre les théories du genre avec lesquelles il se voudrait contradictoire, alors qu'il ne l'est que de façon apparente et au prix d'une caricature assez fruste de (ce que je commence à savoir sur) celles-ci.

Le point de départ – que je connais très bien pour en avoir été durablement imprégné – c'est l'explication phylogénétique de la beauté due à Richard Dawkins : en dépit de l'absence de fonctionnalité pour la survie, certains traits (comme la fameuse queue du paon) sont sélectionnés et transmis génétiquement pour une simple question esthétique, c'est-à-dire d'attrait reproductif chez le partenaire. Il se trouve que dans de très nombreuses espèces animales c'est le mâle qui est « beau » pour plaire à la femelle, alors que chez Homo sapiens c'est le contraire. Ou relativement. Ou incidemment, en d'autres termes, culturellement. Et voilà ce que Nancy Huston semble ne pas avoir envisagé ou ne pas vouloir envisager.
Oui, chez les humains, le mâle regarde la femelle de façon prédatrice et suivant la stratégie reproductive de la dissémination maximum de ses gènes, stratégie qui ne coïncide pas (pas encore...?) avec celle des femelles. Oui, ce regard distingue un homme d'une femme dont on niera volontiers et l'indifférenciation, qui ferait fi de la biologie, et la construction exclusivement sociale du genre. Oui, celle-là existe autant que celle-ci. Oui, les tenants du tout-culture sont de gauche et ceux du tout-nature sont de droite (voire d'extrême-droite quand l'eugénisme s'en mêle...). Peut-être certaines parmi les théories du genre pèchent-elles du défaut d'oblitérer la nature. Ou bien est-ce le fait d'une philosophie moderne qui avance depuis Descartes dans la direction de réagir à l'anthropomorphisation de Dieu par une déification de l'Homme et de sa volonté, notamment dans la sphère sexuelle... Sans doute, cependant, comme le dit fort justement Belinda Cannone dans La Tentation de Pénélope – elle a aussi ses propres griefs contre les théories du genre, au demeurant – ne rend-on pas de bons services au féminisme en insistant excessivement sur la biologie, au détriment du « neutre »...

Mais revenons au regard masculin étudié par Huston. Après le chapitre initial (« Atavismes et avatars »), deux chapitres évoquent la construction de l'image et la manière d'être vue par la petite fille puis par l'adolescente. Des pages de témoignage autobiographique y apparaissent, très touchantes dans une narration à la seconde personne du pluriel ('Vous') [il faut savoir que Huston écrit ses livres en anglais d'abord, puis s'auto-traduit.]

Ensuite, dans « Genre, quand tu nous tiens », un premier assaut polémique et lancé, et une première contradiction dans l'argumentaire surgit dans « Mâles coquets », lorsqu'il est admis que les femmes aussi regardent les hommes et qu'« elles valorisent [chez eux] la sobriété »... pour de symétriques raisons phylogénétiques ! (p. 85).

Dans le chapitre V « Beauté et violence », à travers les biographies tragiques de certaines icônes de beauté (Jean Seberg, Anaïs Nin, Maryline Monroe...), l'idée est soutenue que « la beauté féminine suscite l'agression » : idée très intéressante mais à mon sens véritablement incompatible avec la biologie, pour le coup. La culture se pointerait-elle déjà ?

En tout cas elle fait irruption dans le ch VI « Changements de code », où il est question textuellement du « code » du regard et de la beauté « national », en particulier français... Alors là, si on n'est pas dans la culture... on est carrément dans le langage !

Ch. VII « Plus sujet et plus objet » : ici débarque avec fracas l'historicité, triomphe du culturel : en l'occurrence l'évolution de la condition féminine au XXème s., caractérisée par l'apparition de la photo et du cinéma, la généralisation du maquillage, le remplacement de l'hystérie par l'anorexie, le suffrage féminin, les concours de « Miss » : en une formule, par des femmes qui « plus elles deviennent sujets, plus elles se font objets » (p. 144).

S'ensuivent deux chapitres très intéressants sur le nu en peinture et sculpture, respectivement côté femmes (motivations pour se montrer nues) et côté hommes implications du regard « professionnel » du nu.

La transition est logique vers deux chapitres très violents et instructifs sur la prostitution : « L'image faite chair, la chair faite image », où l'auteure lance ses dards contre les féministes tenant celle-là pour un « métier comme les autres » ; et « Enseignement des putes », véritable hommage à Nelly Arcan qui me donne une très forte envie de lire cette écrivaine...

Autre chapitre polémique : le XII « Baby or not baby », qui soutient que l'évolution de la condition féminine et en particulier « la roue de l'unisexe » (encore ces théories du genre!) tendraient à effacer la fécondité de femmes – je me demande ce que Huston fait de la réalité démographique française contemporaine, et si la pression sociale exercée actuellement sur les femmes qui refusent d'être mères ne mérite pas une seule phrase d'analyse ou de compassion... Là aussi, un usage très émotionnel des biographies des icônes sus-mentionnées est fait en regardant leurs maternités « refusée, écartée, interrompue, empêchée, massacrée ». Il y a en outre dans ce ch. une énormité : « On ne peut pas à la fois se scandaliser de ce qu'on prépare les petites filles à un avenir incluant la maternité et s'étonner de ce que, devenues mères sans y être préparées, elles fourrent leurs fœtus au frigo. » (p. 242) – là où l'excès de polémique devient carrément grotesque.

Ch. XIII « Putes de mère en fille », encore sur ou contre la prostitution : une idée intéressante est avancée, même si elle semble l'être par absurde – et c'est peut-être dommage. C'est celle d'instaurer, afin d'éviter les stigmata annexes, un service prostitutionnel obligatoire pour les jeunes filles sur le modèle exact du service militaire autrefois obligatoire pour les garçons.

Ch. XIV « Pauvres hommes (aussi, parfois) », sur toutes les manières dont le machisme nuit aux hommes aussi.
Ch. XV « Au-delà du miroir... » synthèse de toutes les arguments envenimés contre les théories du genre, qualifiées de « Intelligent design à la française »...

Enfin, après la bibliographie, quelques lettres de lecteurs-trices généralement très enthousiastes, contenant leurs ressenti et/ou leur témoignage inspirés par l'ouvrage.

Bon, je ne vais pas polémiquer à mon tour. Je ferai semblant d'écrire l'une de ces lettres, comportant ma propre vision de ce que la théorie phylogénétique du regard inter-sexe pourrait devenir, dans un avenir plus ou moins proche ; à condition d'accpeter que chez l'être humain le phylogénétisme est aussi, d'abord, ou surtout, une question de culture...

Très chère Nancy Huston,

Imaginons une évolution sociétale où, par effet d'une progressive autonomisation de l'individu et anomisation des rapports de couple, la durée de ces derniers devienne de plus en plus limitée – nous en sommes déjà à une moyenne d'environ cinq ans, et d'une « mode » (au sens statistique) d'environ trois. Imaginons aussi que l'investissement reproductif étant de plus en plus socialisé donc déchargé de la mère individuellement considérée, l'on tende vers une moindre différenciation entre les sexes dans cet investissement. En présence d'une démographie qui, en France en tout cas et en général en Occident, ne témoigne plus d'une sensible « minoration de la fécondité », mais à l'inverse d'une certaine stabilité culturellement et socialement assurée (quand elle n'est pas politiquement induite à la hausse), l'on pourrait voir s'adopter une stratégie reproductive féminine consistant dans l'individualisation généralisée de la maternité hors couple, peut-être en vue d'éviter une succession foisonnante de figures pseudo-paternelles qui se succéderaient (projection de probabilité) au cours de l'enfance de la progéniture. J'entends parler d'un modèle où la maternité serait délibérément planifiée et menée à terme seule, en dehors du couple, réduit donc à la pure fonction de l'épanouissement de sa sexualité, dans un durée ad libitum.
Après tout, sous forme de peur phobique, le mythe de la société des Amazones est présent dès l'aube des sociétés patriarcales occidentales, et Freud aurait pu facilement y voir un avatar du complexe de castration. L'on peut même supposer que cette peur phobique sous-jacente est un moteur puissant du machisme de tout temps – et accidentellement croissant... La ségrégation des femmes du pouvoir, de la vie sociale, de la production de haut rendement afin d'éviter l'éviction des hommes : ça ne tient pas la route ? Ces dernières années, la littérature et la filmographie incarnent avec une fréquence roborative le mythe ancien, sous des aspects d'une étrange post-modernité...
Dans l'éventualité d'une propagation de ce modèle reproductif au-delà d'un certain seuil, quelles seraient les conséquences phylogénétiques notamment sur la beauté et le regard ? Une obligation ou ambition de disposer de partenaires sexuels-reproducteurs occasionnels, éphémères et toujours disponibles, pendant la période la plus longue possible de la vie – dont la durée d'allonge par ailleurs, en tout cas au-delà de la fertilité ; une sexualité prédatrice et volage – autrefois réservée à la stratégie reproductive masculine – qui deviendrait considérablement indifférenciée ; un poids égal des apparences – comme cela a déjà été étudié très sérieusement par des sociologues comme J-F Amadieu – soutenues par une industrie de la beauté, des cosmétiques, de la mode, qui n'aurait aucune raison de se dispenser de cibler les consommateurs hommes autant que les femmes (à supposer qu'elle ne le fasse pas déjà) ; un regard qui de ce fait deviendrait de plus en plus identique ; un développement à terme de la pornographie et de la prostitution destinées à une clientèle féminine (le tourisme sexuel pratiqué par les femmes n'existe-t-il pas déjà?) ; une imbrication des relations de pouvoir et de séduction qui seraient de plus en plus symétrique, complexe et multiforme – mais sans doute tout aussi cruelle, inégalitaire et implacable – cf. Roman à l'eau de bleu d'Isabelle Alonso...
Voyez, tout cela, c'est bien enraciné dans la biologie, dans la génétique, les stratégies reproductives : on n'est pas dans la négation des différences entre masculin et féminin. Et pourtant... tout peut simplement s'inverser par l'effet de la culture. Après la pensée complexe, quand on a surtout à cœur de dénoncer les inégalités de genre et la violence qui s'en ensuit quotidiennement, n'est-ce pas un peu trop facile d'axer quelque trois cents pages de polémique sur la dichotomie nature-culture ?
Très humblement vôtre...


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apo



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Posté: Sam 15 Fév 2014 12:04
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Juste en guise d'appui visuel de mon "uchronie"...
http://damn.com/p/this-is-what-everyday-sexism-feels-like-to-a-man-must-watch/
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le_regent



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Posté: Sam 15 Fév 2014 21:06
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Excellent ! J'ai posté le lien sur Facebook.
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