Qu'est-ce qui fait d'un individu un être humain, reconnu comme tel par ses semblables et par lui-même ?
Comment reconquérir sa dignité d'homme, son amour-propre, lorsqu'ils ont été piétinés, niés ?
Tel est le douloureux et difficile défi auquel se trouve confronté, bien malgré lui, Grant Wiggins, le narrateur du roman d'Ernest J. Gaines, "Dites-leur que je suis un homme", qui a pour cadre la Louisiane des années quarante.
Le filleul de Miss Emma, accusé de meurtre, a été condamné à la peine capitale. Jefferson, jeune homme simple et gentil, qui s'est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment, est innocent. Mais Jefferson est noir, la victime était blanche, et Miss Emma sait bien qu'il est inutile de tenter un quelconque recours... Ce qu'en revanche, elle refuse d'accepter, c'est que son filleul ait été traité, au cours de l'audience, de porc, qui plus est par son propre avocat.
Que les blancs condamnent injustement à mort celui qu'elle a élevé comme un fils, elle peut s'y résigner, mais elle a décrété que c'est en tant qu'homme qu'il irait à la chaise électrique, et non en tant qu'animal.
C'est là que Grant intervient. Son statut d'instituteur -échelon social maximum auquel un noir instruit peut prétendre- le désigne, aux yeux de sa tante Lou, amie de Miss Emma, comme l'homme de la situation, celui qui saura trouver les mots pour convaincre Jefferson de son humanité, et de l'importance de la revendiquer.
C'est ainsi que, malgré ses réticences, et ses doutes quant au succès de sa démarche, il visite ce dernier en prison.
A l'image d'un narrateur qui manifeste peu d'empathie, et semble exempt de tout sentimentalisme, le style de ce roman est sans flamboyance, mais simple et efficace. Il suscite malgré tout beaucoup d'émotion, même si le but de l'auteur semble être avant tout de pousser le lecteur à la réflexion.
Grant Wiggins, cet instituteur qui n'aime guère son métier, parce qu'il a conscience que permettre à de jeunes noirs d'acquérir un minimum de savoir ne changera rien à leur future condition, est, sous son apparence froidement policée, un homme empli d'une rage contenue, qui supporte de plus en plus difficilement son existence étriquée, et les humiliations que lui font subir les blancs convaincus de leur supériorité.
Ses échanges avec Jefferson, au départ très difficiles, le convainquent peu à peu du bien-fondé de sa mission : permettre au jeune condamné de marcher la tête haute sera la preuve, face au monde, qu'être noir, c'est aussi être un homme, et qu'il ne s'agit pas là d'une question d'instruction, de culture, ou de niveau social, mais d'une loi naturelle dont les noirs eux-mêmes doivent en premier lieu s'approprier l'évidence.
C'est donc l'histoire d'une lutte, que nous raconte Ernest J. Gaines. Non pas d'une lutte armée, s'exprimant dans la haine et violence, mais celle d'une lutte qui se joue d'abord en soi-même, pour se détacher du poids des mythes qui autorisent une partie de l'humanité à asservir l'autre.
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