« Des puits d’écume noire »
Quatre Républicains espagnols, Ramiro et son jeune frère Juan, Angel, Gildo, fuient dans la Cordillère cantabrique la répression franquiste. La garde civile les traque à proximité de leur village et elle n’hésite pas à brutaliser leur famille afin de les dénicher. Les jeunes hommes n’ont d’autre possibilité que de se réfugier dans des mines abandonnées, des cavernes oubliées afin d’échapper à une mort certaine. La première partie, « 1937 », la guerre civile espagnole a éclaté le 17 juillet 1936, se clôt par la disparition inexpliquée de Juan. La seconde partie du livre, « 1939 », la guerre d’Espagne est historiquement stoppée le 1er avril 1939, va connaître son lot de morts violentes car la fin d’une guerre sur le papier ne signifie pas l’arrêt des hostilités sur le terrain. Deux autres parties du récit, intitulées chacune sobrement d’une date, 1943 et 1946 clôtureront l’errance d’hommes pourchassés, sans cesse aux abois. Pour eux, il n’y a pas de pitié ni de pardon possibles. La garde civile est aux ordres et elle fait du zèle avec des idées fixes que les années ne dilueront pas, bien au contraire. Pour les quatre « chiens rouges », la vie en marge est âpre, continuellement sur le qui-vive. Il leur faut se vêtir et se nourrir puis échapper aux fouilles méthodiques dans la montagne. La solitude les étreint, le silence les accable. Sans argent, ils ne peuvent envisager une nouvelle vie à l’étranger et les passeurs ne risquent pas leur vie pour rien. Pendant des années, ils voient d’en-haut leur village. Ils y descendent parfois mais les dénonciations et les répressions sont constantes.
Le roman est prenant dès le début et il ne relâche jamais son étreinte. L’auteur est tout d’abord un poète et il sait à ce titre donner une charge émotionnelle aux mots mais comme il écrit aussi un roman, il ne perd pas le fil, ses descriptions sont serties en une phrase de conclusion qui les remet dans leur contexte et leur donne une place précise dans le déroulement de l’histoire, ainsi, par exemple : « Toute la nuit la danse millénaire de l’herbe et du fer, le zigzag vert et noir de la mort devant mes pieds et l’éclat solitaire de la lune d’Illarga. Toute la nuit, incliné sur le pré, la faux dans les mains et la mitraillette en bandoulière, afin que ma famille le trouve fauché quand le jour se lèvera. » Les courts chapitres s’enchaînent par bonds elliptiques. Il y a des vides, des sauts, des non-dits mais la narration reste fluide et compréhensible. Angel est le narrateur. Instituteur avant la guerre, il connaît les maux pour la dire et il donne à sentir sa rage d’être seul contre tous : « La nuit, son haleine toute proche d’animal aux aguets me réveillait en sursaut. Et souvent j’abandonnais la caverne pour errer dans la montagne des heures durant… en tâchant d’oublier la folie de sa perfection… Jusqu’à ce que, peu à peu, je finisse par reconnaître que lui, le silence, était le seul ami qui me restait. […] Et comme un chien, quand je rentre, il vient m’accueillir à l’entrée de la grotte. » Il n’y a jamais de scènes de bravoure mais des moments inoubliables où les hommes sont face à leur peur et à leurs besoins vitaux ainsi du kidnapping de don José, « le patron de la mine… l’homme qui peut pleinement disposer de sa vie et de son temps… », du dernier salut accordé à un père mourant, de la détermination sans faille de Ramiro et de son sourire lorsqu’il retrouve Angel après une échauffourée mortelle, la liste est aussi longue que le livre est ramassé, dense, gravitant autour de l’essentiel, ce qui fait le poids d’un homme sur terre, fétu et enclume, gouffre et semis d’étoiles.
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