L’escargot des haies et celui des jardins sont deux espèces distinctes qui se différencient par la lèvre (la bordure de la coquille), « sombre comme l’ombre d’un buisson » pour le gastéropode des haies, « claire comme un jardin au grand soleil » pour celui des jardins.
Le dernier opus de La Hulotte, le n° 97 du 1er semestre 2012, est consacré à l’escargot des haies, un colimaçon qui pourrait paraître de prime abord anecdotique, voire invisible mais réserve, après lecture, de multiples étonnements et interrogations. Pierre Déom orchestre avec maestria, gourmandise et humour les recherches scientifiques les plus sérieuses en provenance de Paris, Rennes, la Franche-Comté, la Pologne ou l’Australie. On y apprend à distinguer les rayures des coquilles, le sens de la spirale et à découvrir les perles rares à l’instar du roi des escargots, le rarissime animal dont la spirale s’enroule dans le sens opposé des aiguilles d’une montre. Les colonies d’escargots sont fragiles car elles sont peu mobiles et inféodées à un milieu qui peut être bouleversé en un temps record : la haie est arrachée, le fossé creusé à la pelle mécanique, le talus brûlé et le terrain vague retourné au bulldozer. On admire ensuite la bave (le mucus) de la bête et ses étonnantes propriétés, capable de passer instantanément et indifféremment de l’état solide à liquide selon les besoins et devenir soit une colle forte, soit une huile fluide. Le mucus protège l’escargot des piqûres et des coupures. Le scientifique aimerait copier la composition du mucus afin d’équiper des micro-robots qui pourraient circuler partout, du sol au plafond. Gourmand en eau, toutes proportions gardées, l’escargot doit l’économiser pour survivre, la stocker dans son poumon, son jabot, son intestin, son sang, la recycler depuis ses urines et ses excréments, absorber la moindre humidité et se mettre en estivation c’est-à-dire vivre à l’extrême ralenti en plein été. Quand la pluie apporte enfin la délivrance, l’escargot attend patiemment la fin des gouttes qui cribleraient son corps tendre et mou puis absorbe l’eau par la semelle. C’est aussi par le pied que vient l’extase des Jeannettes. On regarde différemment ses cornes (des tentacules, le mollusque terrestre est un lointain cousin des pieuvres) nanties de deux yeux noirs à l’extrémité des grandes tentacules et de deux réceptacles olfactifs au bout des mini-tentacules. Capable de régénérer entièrement ses « cornes » en les fabriquant à l’identique, l’escargot utilise encore le système de la pompe hydraulique pour s’extraire de sa coquille car il n’a pas de muscle pour le tirer vers l’extérieur. Il comprime et fait gonfler ses organes comme un ballon de baudruche. Reste encore à découvrir ses plantes préférées, des « vieux débris juteux, très faciles à râper » et les orties ainsi que la manière de les déguster à l’aide d’une langue (la radula, le racloir) tapissée de minuscules dents alignées, serrées et pointues, remplacées régulièrement. Pour la fabrication de sa coquille, le colimaçon « souffre d’une terrible fringale de calcium » et il lui arrive de piller les moindres débris de coquille d’oiseau ou d’escargot, n’hésitant pas à râper le dos d’un congénère encore bien vivant.
Une nouvelle fois, La Hulotte accorde son attention à l’animal d’apparence banale, anodin, vu et revu mais demeuré pour l’essentiel totalement inconnu. La verve intacte de Pierre Déom transfigure des données scientifiques en un journal vivant, poétique, puisant dans l’émerveillement de l’enfance. Le plan en coupe de l’escargot montre une architecture complexe avec la simplicité conférée par un dessin précis, fouillé mais clair, évident, didactique. Il faudra attendre le prochain semestre pour voir à nouveau déambuler le colimaçon, « fonçant ventre à terre », « se hâtant avec lenteur ». L’automne arrivera avec ses grisailles et ses flamboiements, un temps idéal pour déguster la suite des aventures de l’escargot des haies.
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