Avec "Last exit to Brooklyn", Hubert Selby Jr nous emmène pour une singulière visite guidée dans les quartiers populaires du New-York des années 50.
Singulière, cette visite l'est car elle n'a rien d'une promenade touristique. Je dirais même qu'elle s'apparente plutôt à une descente aux enfers...
Constitué de six récits plus ou moins longs, au cours desquels nous retrouvons certains personnages et/ou certains lieux, l'ouvrage se situe entre le roman et le recueil de nouvelles.
Adoptant une attitude d'observateur, dans ce texte qui à aucun moment ne se fait plaidoyer ou moralisateur, Hubert Selby Jr rapporte des faits bruts, des dialogues qu'il semble avoir captés presque par inadvertance en laissant traîner son oreille lors d'un passage au bar du coin, ou lors d'une dispute de ses voisins.
Les émotions ont ici peu de place, en raison d'une part du choix de l'auteur qui préfère s'en tenir aux actes, plutôt que de s'étendre sur le ressenti de ses personnages, et d'autre part parce que ces derniers eux-mêmes ne sont guère enclins au sentimentalisme ou à l'introspection.
Incultes, brutaux, inaccoutumés au respect d'eux-mêmes ou des autres, ils agissent souvent par impulsion, voire par pulsion, leur comportement revêtant ainsi un caractère parfois bestial...
C'est peu dire que l'humanité de Selby n'est pas belle à voir... et qu'il serait vain de chercher dans ces pages une quelconque manifestation d'amour ou de compassion.
Sauf, peut-être, avec Harry, le héros de "La grève", personnage peu sympathique, fanfaron et lourdaud, qui aura la chance de connaître, avant une fin lamentable et douloureuse -mais dans "Last exit to Brooklyn", il semble nécessaire que tout se termine ainsi-, un amour improbable...
Mais le plus souvent, les scènes dépeintes sont des scènes de violence. Le sexe est presque toujours brutal (quand il ne se transforme pas carrément en viol), celui qui ose un mot malheureux est battu à mort, et même les mères de famille qui traînent en bas de la résidence sociale se délectent à l'idée que le bébé qui joue sur le rebord d'une fenêtre du cinquième étage va sans doute bientôt tomber...
Dans ce long cauchemar dénué d'espoir, où les protagonistes comblent leur désoeuvrement à coups d'alcool, de benzédrine ou de marie-jeanne, vous rencontrerez pourtant quelques figures inoubliables, dont la déchéance et la solitude vous serreront le coeur.
Je pense notamment à Tralala, très jeune délinquante qui sombre dans l'alcoolisme et la prostitution jusqu'à se perdre, ou encore à Ada, la veuve juive rongée par une folie douce depuis la mort de son bien-aimé, et dont les voisins se moquent méchamment.
Avec une écriture qu'il met au diapason de son propos, en une longue tirade ininterrompue dans laquelle s'entrechoquent sans distinction dialogues et narration, Hubert Selby Jr nous emmène à la limite de la nausée face à cette humanité crasse et à ces quartiers de misère qui abritent des enfants négligés et maltraités, des jeunes filles déchues, violentées, des mères indignes et des pères qui ne valent pas mieux...
En montrant une réalité crue, vulgaire et désespérée, l'auteur pointe du doigt les échecs du rêve américain...
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