[Tex. Spécial n° 24, Les rebelles de Cuba | Gianluigi Bonelli ; Aurelio Galleppini]
Tex Willer est convoqué sous pli top secret par Henri Picard, du ministère de la guerre, en Louisiane car son fils Matt a mystérieusement disparu, enlevé et transporté jusqu’à Cuba, l’« île maigre » comme la nomment ses habitants. Tex retrouve opportunément un ancien compagnon d’arme mexicain, Montalès, désireux d’aider son ami Picard à retrouver son fils sain et sauf. L’enquête commence. Il s’agit de débusquer les traces et de remonter les pistes mais les esclaves noirs sont parfois superstitieux et terrorisés par le pouvoir des sorciers vaudous. Quelque temps auparavant, lors d’une cérémonie rituelle, deux serpents géants et enflammés sont apparus et se sont adressés au sorcier Hungan, lui ordonnant de capturer le fils Picard. Par le biais du majordome Etienne, paniqué à l’idée d’être transformé en zombie s’il n’apportait pas son aide, les kidnappeurs se sont introduits dans la plantation d’Henri Picard. Etienne est le premier maillon, hélas fragile, auquel Tex va s’arrimer. Par la suite, l’arrivée, la nuit, au Vieux Lavoir, un bar mal fréquenté au cœur du bayou, va permettre à Tex d’approcher Lame Joseph, un des ravisseurs, après moult coups de poing bien ajustés mais Lame reçoit une lame dans le dos avant qu’il ne puisse révéler le lieu de culte où officie Hungan. Après de nombreuses péripéties, Tex et ses amis aboutissent à La Havane en ébullition et en rébellion contre le joug espagnol. L’armée espagnole est composée de volontaires fanatiques, très à cheval sur l’honneur, pratiquant au besoin la torture, le garrottage en place publique et les exécutions de masse. Tex et Montalès vont avoir fort à faire entre la soldatesque et les factions révolutionnaires. L’une d’elles, entraînée par le commanditaire du rapt, le fanatique Rayado, sa peau est entièrement scarifiée, constituerait l’ultime étape d’une aventure très mouvementée s’il n’y avait encore à résoudre à la toute fin le cas de l’impitoyable colonel Agreda, responsable d’exactions dignes des tortionnaires nazis d’Oradour et de Tulle si on osait les anachronismes mais le barbare d’aujourd’hui n’est pas l’inventeur de la cruauté et de la perversité. Elles sont rivées à l’âme depuis que l’homo ça pince.
L’histoire concoctée par Mauro Boselli est maîtrisée et très intéressante. Toutefois, lorsqu’elle flirte avec le surnaturel, elle a tendance à décrédibiliser les personnages et les événements. Quand elle est portée par l’utopie des révolutionnaires, le récit scintille. Tex, monolithique et déterminée, semble invulnérable. Il sait jauger les hommes et les situations. Son pragmatisme et son esprit cartésien associées à sa pugnacité, sa force et son courage font toujours plaisir à voir. Les mises en tension sont nombreuses et densifient le récit à l’exemple de la menace d’égorgement d’Etienne sur Mamie, de la rixe dans le boui-boui du bayou, de l’accueil belliqueux d’un lieutenant espagnol au débarcadère de La Havane suivi du traquenard dans l’église, etc. L’action est constamment relancée ainsi que l’intérêt du lecteur. Le dessin d’Orestes Suares est aussi une belle découverte et une splendide réussite. Il gagne en intensité à mesure que l’histoire avance jusqu’à s’exacerber dans l’expression des visages, les ombres fouillées et les traits accusés. Les cinquante dernières planches lorsque Tex affronte le sorcier vaudou Rayado sont toutes remarquables graphiquement. Le grand format et la qualité d’impression en noir & blanc permettent d’apprécier à sa juste valeur l’aventure cubaine de Tex Willer, parue en 2010 en Italie. Bien que les mêmes fautes d’orthographe légèrement crispantes parsèment la bédé, on ne peut pas bouder son plaisir face à une œuvre aussi passionnante. Enfin, un dernier bémol sous cette pluie d’éloges, les éditions Clair de lune, guère bibliophiles et généreuses, semblent s’orienter de plus en plus vers les éditions Prestige au détriment des formats plus classiques et moins onéreux.
----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur
Wikipedia]