Ah, la solitude ambrée d’une Guinness dans un pub McCarthy ! On les trouve partout, les pubs McCarthy avec les bières irlandaises et la solitude. Le prologue du journal de voyage de Pete McCarthy possède d’entrée de jeu l’humour british sur le bout de la langue et l’amertume celtique en arrière-goût. Le barman Conan a beau être originaire de Skibberden, le pub McCarthy n’en gît pas moins à Budapest, en Hongrie. L’auteur se promet de passer la prochaine Saint Patrick en Irlande. Premier chapitre intitulé « Relent de clapier » : le périple irlandais commence. Dans l’avion pour Cork, Pete McCarthy croit reconnaître dans la masse brute d’un ecclésiastique endormi un Frère chrétien, prétexte à l’évocation de son passé à l’école de ces mêmes Frères, adepte de la règle et de la trique. Toutefois, il ne faut pas s’y tromper : « Les Frères étaient durs mais curieusement asexués ». La drôlerie caustique de l’auteur ne va pas se relâcher. La ville anglaise de son enfance, Warrington, est sinistrement industrielle. Cela donne : « […] l’air ambiant était saturé du détergent fabriqué par l’usine de lessive locale. Au moins, on savait que l’air était propre. » Pete McCarthy déambule dans le Kerry, retrouve les chemins de l’enfance avec un regard aiguisé et un esprit mordant. L’Irlande se découvre sous ses replis secrets et dévoile tout un monde attachant dans ses marges à l’exemple des Anglais, exilés sous le thatchérisme et faisant souche dans le comté de Cork. L’auteur ne mâche pas ses mots et presque chacune de ses phrases tire un sourire au lecteur quand ce n’est pas un franc rire à l’exemple de la visite rendue à Stephen, ancien propriétaire de la montagne qui aura vendu toutes ses terres aux nouveaux arrivants anglais, dilapidant ainsi son patrimoine dans l’alcool, « de flacons en ivresses ». Lorsque Pete s’approche de Stephen, il écrit : « Ca pue très fort dans les parages, comme si quelque chose était mort dans le coin – ou bien c’est son pantalon ? » Ses descriptions péremptoires et calibrées valent toutes le détour : « L’auberge [de jeunesse] de Dunmanway n’abrite que deux autres clients : un Anglais au crâne ovoïde qui a l’air – je sais qu’on ne devrait pas faire de généralités – d’un pédophile en goguette, et un cycliste allemand brun de poil arborant une déplorable petite moustache en ticket de bus. » Les morceaux de choix se succèdent au rythme d’un voyage inventé à mesure, qui devient progressivement du sur-mesure. Le trajet en avion avec les vomissures éclaboussantes d’un gamin agité, la traversée en ferry avec les rugbymen débridés rappellent assez précisément des situations similaires au voyageur pédestre ou cyclo-pédestre en voyage chez le « tigre celtique » avec les moyens du bord. Pour peu qu’on se soit frotté un peu à ce pays-là, on sait que Pete McCarthy n’invente rien, brode à peine, ne noircit pas le tableau. Autant à l’irritation extrême succèdent instantanément la joie, le bonheur et l’exaltation, au diapason d’un climat instable, capricieux et attachant. Maintenant, lorsque je retournerai en terres celtiques, je ne chercherai plus seulement les taxis mauves mais aussi la « Volvo bleue, celle avec un oiseau dans le cul ». L’Irlande dans un verre est une découverte goûteuse et réjouissante. Je remercie chaleureusement amiread1 de m’avoir apporté ce livre savoureux sur le plateau déjà bien garni de l’Agora des livres.

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Mon rêve de visiter l'Irlande se réalisera un jour, en attendant je prendrais le temps de lire ce livre que je viens d'attraper avec mon "filet à livre"

Faites que votre rêve d'Irlande donne encore plus de saveur à votre vie ! Pete McCarthy est un bon conducteur bien que nombre de ses remarques prennent davantage de saveur quand on y est déjà allé. Ne perdez pas de temps, allez illico dans le Mayo, le Sligo et le Donegal. Laissez le Connemara et le Kerry aux touristes. Passez quand même par les Burren, au printemps, si possible. L'Irlande a plus d'un tour dans son sac à malice et des sortilèges à revendre.

Bonne lecture.

Franz

Hello Franz. De retour sur l'Agora, abandonnée lâchement depuis un mois, je découvre ta merveilleuse note de lecture. Celle-çi beaucoup plus que la mienne incitera les lecteurs à jouer aux Saint-Patrick ; tu as un vrai talent d'écriture et je l'écris sans flagornerie. C'est ma fille qui m'a fait découvrir ce livre (pour une fois qu'elle lisait...).Connaissant un peu l'Irlande je me suis tout de suite retrouvé dans certaines scènes mais Mc Carthy , c'est ça le talent d'écriture,dépasse les images convenues d'office de tourisme pour nous montrer une Irlande plus complexe , et plus complèxée aussi (cet incroyable pélerinage du Lough Dergh).Peu de temps après je lisais le dernier livre-testament de John Mac Gahern : "Mémoire" ; c'est un livre de souvenirs écrit avec le ton inimitable de Mc Gahern . Les deux livres , au fil des pages, se répondent : poids de l'histoire, poids de l'émigration, poids de la religion...et les pubs et la musique pour faire passer tout cela !
Mon dernier souvenir d'Irlande (du Nord mais c'est "presque" pareil...) :
Janvier 2008, Strabanne. Un retour en taxi de Strabanne au lieu où nous logions (6kms). Parce que j'ai demandé au chauffeur de nous conduire sur la route de Derry (et non de Londonderry....), et après lui avoir expliqué que je connaissais la raison pour laquelle les anglais avaient ajouté "London" à Derry, il est revenu nous chercher son srvice fini, pour nous emmener écluser quelques Guinnes dans les pubs du coin ! c'est ça l'Irlande de Pete Mc Carthy
Bonne soirée à toi Franz .

Cher amiread1,

Merci pour les louanges. Même si je sais qu'elles ne sont pas méritées, tes remarques sympathiques à mon égard sont toujours bonnes à prendre. Si ta fille ne lit pas beaucoup, elle a eu le nez fin et tu peux la remercier de ma part. Ton anecdote sur l'Irlande ne me surprend pas. J'ai eu le plaisir de parcourir le pays à pied et en vélo à trois reprises et j'en suis revenu à chaque fois aéré, frais et dispo. Je compte bien retrouver la verte Erin bientôt. Bien que j'y voie des furoncles pousser partout, leurs maisons neuves sont hideuses et les aménagements intérieurs sont à pleurer ou à rire (voir la péninsule de Dingle aujourd'hui peut rendre dingue quand on y découvre l'urbanisation galopante et anarchique), la beauté du pays frappe toujours avec autant de force et les Irlandais sont sans cesse étonnants.

Bonne fin de semaine.

Franz