[Le veilleur amoureux ; précédé d'Eucharis | Philippe Delaveau]
Les premières éditions d’
Eucharis (1989) et du
Veilleur amoureux (1992) ont été revues, corrigées et réunies en un seul volume de 350 pages par l’auteur dans l’incontournable collection « Poésie Gallimard » forte de son 453e titre. Bien que l’auteur publie régulièrement dans la collection Blanche chez Gallimard, ce livre de poche est une somme, le condensé d’une œuvre exigeante et abordable. Les poèmes tiennent presque tous sur une page et demie hormis lorsqu’ils frisent l’épopée tel le poème intitulé "Le retour du prodigue". Ils ne sont pas rimés. Le vocabulaire est simple, sans affèterie, au plus près de la vision, de la sensation et du sentiment. Bien qu’
Eucharis brasse les grandes figures mythiques de l’Antiquité,
Enée, Icare, Virgile, Didon, Narcisse, Diane, etc. ou les personnages légendaires de la littérature,
King Lear, Dom Juan, le poète arrime ses références tutélaires dans la réalité contemporaine, St. Mary’s Hospital à Londres, Tower Bridge, les jardins du Luxembourg à Paris, par exemple. Parfois fulgure une vision qui percute douloureusement le lecteur. Ainsi, dans
Enée :
« Peut-être en notre solitude avons-nous oublié/Le vieux savoir, les voix à peine audibles/Des sources qui parcourent la nuit de l’être/En quête de mots simples, de rythme. Et nous nous enivrons/D’images, nous lacérons/Les lignes pures d’un visage incompris. » ou encore dans le
Retour de Troie, merveilleux songe tout piqueté par la bile noire de la mélancolie dont il est délicat d’extraire le moindre vers d’un poème à la musique fragile, lancinante et dévorante. Plus loin dans le recueil et plus près de nous dans le chronologie, le calvaire du Christ est d’une poignante sobriété. Il provoque des élancements vertigineux chez le lecteur athée : «
[…] on le menace depuis l’ombre/Qui hait les œuvres de la lumière. Impassible/Vêtu non pas de pourpre mais de gloire invisible,/Il a déjà franchi le fleuve de souffrance… » ; « Après un cri, sa tête se redresse puis retombe,/Après que le larron a découvert l’amour. Le centurion s’effraie,/Celui-ci était Dieu, nous l’avons crucifié. L’obscurité recouvre/Le soleil et le jour. Coups de tonnerre. Effrois et nuits/Frappent le monde. »
La seconde œuvre du recueil,
Le veilleur amoureux, est peut-être la plus touchante car elle traduit le quotidien du poète sans passer systématiquement par le paravent des mythes et des symboles. Elle débute par « Mes années » :
« De la lumière qui meurt à terre parmi les feuilles./Je sais bien ce que j’ai perdu. » La parole élégiaque joue à saute-mouton d’un poème à l’autre, dans « Chanson » :
« Je n’étais rien, le temps me dilapide. » ; « Le signe de la torche » :
« Regretter ne fera jamais détenir/La clef de la porte invisible. » Le découpage en cinq chapitres jalonne le parcours du lecteur : « Nocturnal » ; « Un chant d’amour » ; « Un éternel été » ; « Exercice du jour » ; « L’âme sentinelle ». Le poète croit humblement et sa ferveur est communicative :
« Ainsi lorsque j’atteins au fond des terres/Dévastées l’extrême endroit de la détresse,/Lorsque je sens la solitude empiéter sur la joie,/J’éprouve près de moi cette présence/Qui fortifie mon cœur désert. » Par la magie des mots et la force de la vision, le veilleur n’est plus seulement le poète ; il devient naturellement le
« Très-Aimant ». Alors :
« La pluie redouble, ses gouttes flambent ».
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