"Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait" (p. 12).
Tout était donc dit dès le début : que l'itinéraire, dans le fond, était sans importance - d'où l'absence d'une carte malgré un périple parfois plutôt obscur ; qu'il serait question du ressenti des voyageurs et non de lieux - d'où l'absence des paysages, de toute description des spécificités des pays traversés, de toute tentative de synthèse ou de compréhension au-delà de l'immédiat du perçu ; que le moyen de transport - cette petite auto si lente et si souvent en panne, toujours gourmande d'attentions et d'argent pour les réparations - compterait mille fois plus que le chemin ; que les rencontres humaines narrées seraient choisies pour leur caractère inhabituel, particulier (ah, sacré Terence ! le tenancier du Saki bar de Quetta - Pakistan...), plutôt qu'emblématique ; presque pas de rapports décrits entre les deux amis voyageurs : chacun pour soi dans sa transformation initiatique...
Ma lecture à moi aussi a été longue, non sans la considérable frustration qui va avec, ponctuée par des phrases pleines de poésie et de justesse, qui étaient noyées pourtant dans une mer de détails anecdotiques et intemporels, dont les liens réciproques sont totalement absents, comme dans une série de photos de voyage retirées au hasard d'un sac plastique où on les aurait entreposées en attendant de les classer dans un improbable album. Certes, ce périple "dépourvu de tout autre luxe que l'abondance du temps" (je ne cite pas verbatim) donne envie et fait rêver. Les pays traversés m'en donnent encore plus. Mais justement j'aurais aimé les voir un peu mieux, ces pays, dans leur contexte qui était d'autant plus précieux qu'il est aujourd'hui perdu à jamais. J'ai donc pris davantage de plaisir avec Bernard Ollivier.

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Belle note de lecture qui colle bien à l'apo (pardon !). Je partage volontiers ton point de vue et ne tiens pas L'usage du monde comme un livre incontournable même si Nicolas Bouvier sait parfois ciseler ses phrases et dégager des expressions heureuses. Le voyage de Bernard Ollivier me paraît plus incarné, plus présent aussi. Ceci dit, j'ai une grande sympathie pour l'auteur que j'ai rencontré et avec qui j'ai correspondu brièvement. L'homme était accessible, humain et touchant. C'est ce que j'aime retrouver dans ses écrits (parus en Quarto chez Gallimard).
Bonne journée, compagnon de route (littéraire) !

Franz, tu es un poète.
L'apo de l'ours

Bonjour à tous deux. L'usage du monde est un des rares livres que j'ai relu. J'ai du mal à dire avec des mots le plaisir que j'ai pris à la lecture du bouquin de N. Bouvier. Ce qui m'a frappé c'est d'abord la lenteur, la lenteur en tout ; ces mois d'attentes à Tabriz, ce flegme devant les pannes à répétitions de la "Topolino"...
Je suis allé dans ces pays en 69-70-71 , pauvre de moi ! je ne connaissais pas Nicolas Bouvier ; j'étais un peu comme dans la chanson de Brel (plutôt con que beau..). Il y a peu j'ai lu Chroniques japonaises : même émerveillement !
Quant à Bernard Ollivier j'ai lu ses trois tomes de la route de la soie. Ollivier est un pragmatique, c'est un ancien journaliste, un sportif même, son idée fixe c'est cette route mythique ; pas grand chose à voir avec le poète Bouvier non ? et pourtant... Et puis c'est un marcheur à la "Lanzmann" . 60 kms ne lui font pas peur, il ne prend que les nationales... c'est un fou forçené...dont j'ai adoré l'aventure....!

Heureux de te retrouver à ce coin de page virtuelle, cher amiread1 !

Je ne crois pas qu'Ollivier soit semblable à Lanzmann parce qu'il bouffe du kilomètre en ligne droite. C'est vrai que son idée fixe, la route de la soie, le tire sur une diagonale qui exclut les tangentes. Il explique que soixante kilomètres au quotidien deviennent vite accessibles avec l'entraînement. L'élan vient en marchant. Je trouve cela rassurant, surtout à son âge et après ses déboires. Il n'a pas récidivé ensuite. Son expérience exécutée, il s'est tourné vers autre chose. Claude Lanzmann en a fait un fonds de commerce avec l'allure du con "moderne". Bourrer, bourrer et rata dame (nature) ! Lanzmann en est pas pour autant insignifiant malgré ses phrases slogan nanties d'une légèreté d'enclume. Il a été "mode" et ses clichés enfilés en chapelet dissuadent aujourd'hui toute lecture. En revanche, ceux qui voudront retrouver les effluves de la route de la soie pourront toujours se plonger avec satisfaction et contentement dans la trilogie de Bernard Ollivier. Enfin, c'est ce que je crois mais je ne suis pas parole d'évangile.

Bonne semaine à tous deux.

Franz

Hello Franz. Je voulais dire "un marcheur capable d'aligner 60 kms dans la journée , comme Lanzmann " donc pas vraiment comme notre Nicholas.
Quant à Lanzmann tu as bien résumé son problème : la marche comme fonds de commerce. J'avais lu un court récit de lui lorsqu'il effectua des repérages en Sicile pour "Terres d'Aventures".... pas vraiment emballant je peux te l'assurer ; avant tout des préoccupations très terre à terre genre" quel hébergement vais-je trouver ce soir dans ce trou à rat pour pouvoir loger dix "gentils randonneurs" ayant payé "x" francs pour se croire pendant dix jours Alexandra David-Neel où , que sais-je ,Steveson traversant les Cévennes...
En fait je m'apperçois que Lanzmann était le précurseur des "nouveaux aventuriers" genre Jeans Louis Etienne ou Nicholas Vannier... On trouve des sponsors, on écrit un livre, un film, on va le vendre sur les TV, les radios, l'argent récolté sert à finnancer de nouvelles aventures....
Bouvier était loin de tout cela et je te l'accorde Ollivier également.

salut,

Sur les nouveaux aventuriers, je vous conseille "passion du risque" de David Le Breton. J'ai entré une note là-dessus récemment.
Il pose un constat très intéressant, notamment ce goût publicitaire pour l'affirmation de soi au travers de la prise de risque publique.