La couverture de l’album est déjà source de malentendus. Qui est cette jeune femme moulée dans sa robe rouge, assise sur une balustrade au-dessus de la mer ? Que regarde le jeune homme au premier plan ? Que vient faire la gardien de la paix à califourchon sur le même parapet ? Et ce personnage ventru levant les bras au ciel ; chante-t-il la beauté du bord de mer ou les rondeurs féminines qu’il a sous les yeux ? A une composition plastique remarquable rehaussée de belles couleurs, l’auteur transmet immédiatement le vertige de la solitude. Aucun des personnages ne communique, nul regard ne se croise. Réunis en un lieu idyllique, ils sont irrémédiablement isolés les uns des autres. Le lecteur a très envie d’entrer dans l’histoire. Le jeune homme longiligne se nomme Ariel Fibrome. Il est étudiant en mendicité. Dans l’amphithéâtre de l’université, il sabote malgré lui le cours magistral qui dissèque les stratégies du mendigot. L’étudiante à côté d’Ariel se prénomme Syphilis. Les jeux sont faits. Fibrome est renvoyé du cours par le professeur et la propriétaire le met à la porte pour loyer impayé. Bonne âme, elle lui offre en dépannage la baignoire des toilettes communes de l’hôtel. Il lui reste à quémander un travail chez le professeur azimuté Courtemanche, cherchant un cobaye pour tester un « vaccin philosophale » contre l’ennui. Malheureusement, un surdosage entraîne Ariel vers la déprime et le quartier des suicidés. Il y retrouve fortuitement Syphilis prête à mettre un terme à ses jours. Heureusement, la police veille, statistiques à l’appui. Toute tentative de suicide est passible de la peine de mort. Le passage au tribunal est une réussite de non-sens et d’ironie. Condamnés à l’exil sur l’ île bagne-hospice de Knokke-le-Zoute, Ariel et Syphilis vont se retrouver et se découvrir dans l’amour, le temps d’une nuit en flamme. Le retour dans un Paris intemporel se fera pour Ariel, l’ange déchu, sur un banc public.
Il est dommage de ne pas pouvoir mettre une note maximale à cette bande dessinée atypique, attachante, troublante, hilarante dans les coins mais profondément pessimiste sur la marche du monde et des sentiments. Peut-être que l’outrance aurait été bienvenue à la place de situations entre-deux, mi-fugues, mi-déraison. A l’inverse, les trognes des personnages souffrent peut-être d’un excès dans la caricature pour que le lecteur s’identifie complètement. Seule Syphilis instille un virus pernicieux dans l’esprit du lecteur. Une belle femme absente à elle-même est-elle accessible aux autres ? L’amour est-il une impasse ? Ses formes pleines et tendues aiguillonnent les regards. Sa présence compose en filigrane le motif de toute l’histoire des hommes.
Nicolas Dumontheuil (né le 25 septembre 1967 à Agen) est un artiste doué d’une remarquable maîtrise graphique et narrative. L’univers absurde qu’il déploie n’est pas loin de celui de Boris Vian en littérature. Beckett ou Ionesco ne sont pas très éloignés non plus. Son travail a plus de profondeur et de cohérence que celui, proliférant, de François Boucq. Thématique rarement abordée en bande dessinée, son œuvre singulière possède déjà une place bien à elle.
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