Qu'elle dise l'enchevêtrement des corps dans l'enfer de l'amour à vendre, qu'elle saisisse dans son incongruité la présence d'une tête solitaire chez le magicien de la foire des Zaërs, qu'elle évoque la séduction d'une voix entendue au hasard d'une promenade dans les rues de Paris, Rajae Benchemsi parvient à donner une matérialité au vertige des sens.
Irréductibles à leur seul sujet, ces six récits, dont l'épicentre est la chair, en majesté ou en putréfaction, disent la réalité de la prostitution, de la solitude, du meurtre, du deuil ou de l'absence. Leur violence, leur efficacité narrative, leur profondeur de champ tiennent à une langue poétique et âpre à la fois, oscillant sur une ligne de crête entre deux imaginaires. Car si l'on trouve ici une inspiration proche de George Bataille, il y a dans le pouvoir d'envoûtement que revêtent ces textes comme un obsédant souvenir des contes des Mille et Une Nuits.