Symphonie pour l'enfer
Article paru dans l'édition du Monde du 26.02.10
BD L'histoire de la représentation, en plein siège de Leningrad, de l'oeuvre écrite par Chostakovitch en hommage à ses habitants
resque un an de siège : les habitants de Leningrad mangent des chats, des oiseaux ou des rats liés par une sauce à la colle, celle qui servait aux réparateurs du Musée de l'Ermitage. Depuis le début du siège de la Wehrmacht, en septembre 1941, les généraux « froid, faim et terreur » ont décimé la population de la Venise du Nord aussi sûrement que les obus.
Pourtant, la ville résiste. Dans les rues, les haut-parleurs diffusent poèmes et sentences patriotiques. De surcroît, Staline demande que l'Orchestre de la Radio de Leningrad joue la Septième Symphonie en ut majeur de Dmitri Chostakovitch le 9 août 1942, date à laquelle Hitler a prévu l'entrée de ses troupes dans la ville. Un jeune officier, Vlakov, est chargé d'acheminer la partition de cette symphonie baptisée « La Leningrad ». Déjà jouée à Moscou, Londres et New York, l'oeuvre ne l'a pas encore été dans la ville natale du maître. A la fois hommage à Leningrad et au 1,8 million de victimes du siège - qui durera près de neuf cents jours -, elle est aussi un encouragement à la résistance.
Vlakov, aidé par Irina, une jeune joueuse de hautbois, va tout faire pour qu'elle puisse être jouée à Leningrad. Il va obtenir des musiciens en renfort, doubler les rations de l'orchestre à bout de souffle, copier à la hâte la partition transmise à la barbe des nazis.
C'est cette volonté de rester debout, poing levé et musique en tête, que racontent Céka et Borris, avec une émotion à juste distance, sans pathos. Les couleurs froides, bleues et grises, virent au rouge bistre et à l'ocre pour décrire la ville « de sang et de lumière » ; les personnages animaliers - inspirés de la série Edmond le cochon, de Jean-Marc Rochette - vivent entre bombes et décombres, cadavres et caves, la foi en la victoire en guise de viatique.
On sait, depuis, que Dmitri Chostakovitch avait voulu que cette symphonie soit un requiem à la mémoire de « toutes » les victimes du siège, de la révolution et des procès staliniens. Cela rend la lecture de cette BD encore plus bouleversante.
Yves-Marie Labé |