Une petite ville du nord de l'Albanie à l'aube de l'an 2000. Dix ans après la chute du communisme, les gens sont encore traumatisés. Malgré tout, la vie va de l'avant, comme elle l'a toujours fait. Même dans le hold-up perpétré contre une banque, tout un chacun voit un signe de modernité, d'occidentalisation de la société. Quant au terrible Kanun, le Coutumier immémorial, il essaie de refaire surface au bout d'un demi-siècle d'hibernation, comme toutes choses interdites sous le communisme. D'autres épisodes singuliers surviennent. On se reprend à évoquer des événements énigmatiques advenus deux ans, deux siècles, deux millénaires auparavant : ainsi, les noces d'une fille et d'un serpent ne font pas simplement figure de légende, mais apparaissent comme un fait divers cyclique qui se répète de loin en loin et en vient à paraître aussi éminemment moderne. A la périphérie de la ville, en un lieu pratiquement désert, des gens cherchent une galerie par où se faufiler à l'intérieur d'un bunker réputé abriter les Archives secrètes. Ils sont en quête des traces des crimes qu'ils ont commis, voire de ceux qu'ils auraient pu commettre. Le bruit court qu'on aurait repéré dans les parages les spectres d'Enver Hodja, de Brejnev, d'Ulbricht, de Thorez, voire d'Œdipe-Roi... Simple, passionnée, sensuelle, une histoire d'amour entre un peintre et une jeune fille se déroule dans ce cadre et sur cette trame, contrastant comme le jour et la nuit avec les ombres du passé. Rédigé dans la période récente entre Paris et Tirana, ce roman appartient à la plus pure veine classique de Kadaré, avec son riche et grave trésor de traditions locales et de schémas narratifs universels. Une fiction amoureuse sur fond d'un " printemps albanais " encore trop frisquet pour ne pas laisser craindre un regel et ses ravages sur les frêles efflorescences de la liberté recouvrée. Un chef-d'œuvre à l'égal d'Avril brisé ou du Palais des rêves. |