Une petite fille traverse cette histoire, laissant derrière elle un sillage de malheurs. Et pourtant, chaque personnage voit en elle la pureté, l'idéal, ce quelque chose d'enfoui au plus profond des hommes dès l'enfance, cette perfection physique et mentale qu'ils rêvent de posséder à jamais. Mais chacun traduit ces élans avec les gestes désordonnés de l'amour ; chacun désire cette enfant incompréhensible et murée dans le silence d'avant la puberté.
À ses yeux à elle, tout est simple. Elle est à l'âge de cristal et, le mauvais lieu, c'est le monde qui s'agite autour d'elle comme un shaker d'où ressortira le cocktail « qui fait vieillir » : haines, envies, passions sexuelles et autres…
Tout commence par une femme appétissante insultée, croit-elle, dans un jardin public par un ouvrier, mais cette bourgeoise garde dans l'oreille les paroles révélatrices de plaisirs inconnus. Toute sa vie, elle courra à cet impossible rendez-vous, comme une somnambule au bord d'un toit cherche à regagner son lit. Le frère de cette femme mène son destin avec la même efficacité que ses usines, mais il possède tout ce qu'il veut, sauf l'amour. L'amour prend les traits de leur nièce et pupille, la petite Louise. Et la vie fait marcher ses marionnettes de sang : Perrotte, Brochard, Marthe Réau, Fernande, Félix… tous poursuivant un rêve cauchemar dans l'incompréhension quasi générale. Seule, devant tout le monde et avec tout le monde, la petite Louise se tait. Elle grandit, il est temps de l'envoyer au collège pour empêcher bien des difficultés, mais au collège de Chanteleu, d'autres drames surgissent. Puis, vers Noël, la neige commence à tomber, la neige qui recouvre tout, efface toutes les traces et qui est elle-même faite de cristal. Louise en profitera pour se sauver. L'enfant disparue, tout se casse : les autres se brisent comme des jouets, car, au fond, il n'y a pas de grandes personnes.
Éric Jourdan
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